homélie pour le 17 dimanche TO, année A, frère Bruno CADORE, OP

Avons-nous compris tout cela ? Voilà qu’aujourd’hui l’évangile nous propose ces 4 petites paraboles, ces 4 petites comparaisons pour nous aider à préciser ce que vous avons compris du Royaume des cieux, du Royaume de Dieu. En prononçant ces trois petits mots : le Royaume de Dieu, trois mots qui sont tellement au centre de notre vie, je ne peux m’empêcher ce matin de penser à mes amis, j’allais dire mon peuple de Terre nette sur la montagne de Haïti parce que Terre Nette est le pèlerinage de Sainte Anne. A Terre Nette, le jour du pèlerinage à Sainte Anne, tout le monde de toutes les collines, il y a des ribambelles de pèlerins – je ne sais s’ils le font aujourd’hui – et ils arrivent pour prier « Grand-Mère » ; Sainte Anne à Terre Nette on l’appelle Grand-Mère et comme toutes les grands-mères, elle est celle à qui on vient dire tout ce qu’on a besoin de dire et qu’on a pas encore osé formuler. C’est-à-dire que le pèlerinage de Sainte Anne est un pèlerinage de prière, d’intercession. On vient lui confier la vie et en créole où il n’y a pas de mots abstraits, il est difficile de traduire l’expression : « Royaume de Dieu ». Alors on a finalement décidé quand on en parle de dire que le Royaume de Dieu c’est comme un pays où Dieu accepterait d’être le roi. Aujourd’hui, je pense que les 4 comparaisons qui nous sont proposées vont plus loin et plus précisément et de manière plus concrète ; le royaume de Dieu c’est une vie humaine où Dieu serait reçu, reconnu, accueilli, célébré comme un roi. Le royaume de Dieu c’est notre vie en tant qu’elle est capable d’accueillir Dieu comme son roi, son maître, sa vie. On comprend mieux pourquoi Jésus prend la peine après avoir expliqué et donner ses paraboles de dire : avez-vous compris cela ? Avez-vous compris la portée de ces comparaisons que je vous propose ? Un trésor, une perle, la pêche, la ville d’ici. Bref, la vie humaine telle qu’elle est dans son histoire, dans sa réalité ; autrement dit, le royaume de Dieu n’est pas extérieur à notre vie ; encore, pour être plus précis, le royaume de Dieu ce n’est pas la vie d’après. On en a beaucoup parlé durant ces mois de la vie d’après ; comme si on pouvait imaginer la vie d’après idéale !  Eh bien ! la vie d’après, la vie idéale c’est la vie aujourd’hui. La vie d’aujourd’hui non pas tendue vers un changement tel qu’elle serait différente d’elle-même, qu’elle serait le royaume éternel un jour, la vie d’aujourd’hui telle qu’elle est vraiment, de l’intérieur d’elle-même, tel que son présent est son futur en Dieu. Une vie où nous pouvons accepter que Dieu soit son futur parce qu’il est son présent. Ceci suppose que nous considérions que dans la vie de l’homme qui achète, dans la vie du négociant qui cherche, dans la vie du pêcheur qui lance ses filets, dans la vie du scribe qui se convertit, choisissez qui vous voulez être ce matin dans cette ville où Dieu est le présent et le futur. Il est le futur parce qu’il est le présent et c’est pourquoi il faut chercher dans le présent ; il faut trouver dans le présent et il faut vivre au présent. Vivre, vivre la présence de Dieu dans notre vie aujourd’hui. Cela suppose, vous l’avez bien compris, des engagements concrets, précis. L’homme qui a découvert comme par hasard, un trésor dans le champ décide qu’il lui faut acquérir ce champ. Le négociant qui cherchait une perle, en voyant une plus belle, plus grande, plus précieuse que toutes les autres, alors il décide qu’il va acheter cette perle ; le pêcheur qui a pris ou n’a pas pris décide qu’il va lancer ses filets à nouveau et recueillir le fruit de la pêche aujourd’hui ; autrement dit, il nous faut aujourd’hui ne pas compartimenter notre vie, la prendre dans sa globalité comme une bonne terre, comme un bon champs ou chercher un trésor, comme une période plus belle que toutes les autres qu’il nous a données jusqu’à présent, comme une pêche qui peut être miraculeuse même si jusqu’aujourd’hui, on a peine à croire que notre vie pourrait être à ce point féconde. Le Royaume est notre vie aujourd’hui ; et saint Paul, dans la deuxième lecture que nous avons entendue, nous explique bien pourquoi c’est ça : c’est aujourd’hui parce que c’est aujourd’hui que la grâce de Dieu agit dans notre vie, c’est aujourd’hui que notre vie est choisie, que notre vie est transfigurée, que notre vie est dédiée totalement à Dieu ; qu’elle est ajustée à Dieu ; elle est justifiée. C’est aujourd’hui que la grâce de Dieu transforme notre vie. Il nous demande donc de l’accueillir dans notre vie concrète sans l’idéaliser, sans craindre que nous soyons indignes, sans nous juger dignes de considérer assez grands pour savoir si notre vie est digne ou pas digne, c’est probablement le premier péché que nous pouvons faire ; accueillir notre vie comme une vie en transformation progressive par la grâce de l’Esprit. Cette grâce qui fait que notre vie sera libre, belle à la mesure où nous accepterons qu’elle est en voie d’enfantement. Nos communautés sont des lieux privilégiés j’allais dire, si je puis dire ça, pour découvrir que, oui, notre vie est en voie d’enfantement constamment. Déjà ce n’est pas facile de découvrir pour notre propre vie ; c’est quelques fois un peu plus difficile encore à découvrir pour la vie des autres et pourtant nous sommes dans cette vie présente en voie d’enfantement. Vivre au présent et dans cette vie au présent chercher là où le trésor est caché. Puis, s’engager. S’engager c’est-à-dire comme le propriétaire ; il voit la perle, il s’en va et il l’achète. Transposons à nous. Nous voyons notre vie ; nous voyons bien qu’il y a une grâce de l’Esprit quelque part mais nous n’en sommes pas très sûrs et nous ne savons pas bien si cette grâce transforme réellement la pâte que nous sommes avec ses failles, ses fragilités, ses défauts, ses péchés et ses beautés. Alors aujourd’hui comme le propriétaire, il nous faut acquérir notre vie ; pas la vie des autres, pas la vie d’un autre. Acquérir notre vie ; en faire notre bien et la recevoir comme notre bien. Puis, il faut faire comme le négociant. Le négociant, il cherche des perles ; il les achète ; il les collectionne ; il en a déjà beaucoup puis tout d’un coup, il en trouve une plus belle que toutes les autres. Alors il vend toutes les autres. Il nous faut dans notre vie présente équilibrer nos perles. Pas facile ! Equilibrer nos perles. Il y a des dons que nous avons, que nous aimons bien ; tellement que nous nous y attachons. Il y en a d’autres que nous ne connaissons pas bien même pas, que nous n’aimons pas, que nous ne valorisons pas. Et puis un jour on trouve la perle, la vraie, celle que Dieu est en train de travailler. Alors il faut équilibrer nos dons, équilibrer nos perles ; ne pas laisser nos petites perles que nous aimons bien mais nous appuyer sur la vraie perle de notre vie ; celle où Dieu nous dit : « Tu es ma fille, mon fils ; je suis ton Dieu à toi ». Acquérir notre vie, équilibrer nos perles ; puis comme les pêcheurs, ne pas être surpris par l’abondance. On jette les filets et on entreprend une pêche inattendue, l’abondance mais l’abondance ce n’est pas l’idéal car lorsque nous développons notre vie nous développons de belles choses et de temps en même temps nous découvrons qu’au milieu des belles choses nous avons développé ce que nous n’aurions pas voulu développer. Peu importe. Viendra le moment du Christ. Mais pour le moment, dans le présent, accueillir l’abondance de la grâce, la surabondance de la grâce. Accueillir en quelque sorte notre fécondité. Alors, après avoir cherché, trouvé, nous convertir c’est à dire vivre comme le scribe qui sait qu’il est pétri d’ancien et    de nouveau ; c’est notre destinée ; alors il décide qu’il lui faut se convertir et choisir et discerner. C’est ainsi que je voudrais terminer. Vivre notre vie humaine concrète aujourd’hui au présent parce que le futur est le présent. Acquérir, apprivoiser, choisir notre vie parce que c’est là que la grâce agit. Puis discerner. Discerner comme Salomon. Alors peut être comme moi quand je préparais cette prédication je voyais que Salomon c’était un roi exceptionnel. Pas du tout ! C’était un stratège ; il a négocié et puis sa mère l’a poussé à négocier pour devenir roi, ce n’est pas du tout évident ; il n’est pas parfait quand pourtant il prie une prière qui est magnifique. Comme nous ! Nous entrons au chœur et nous ne sommes pas parfaits, parfaites puisqu’il faut un langage impulsif ; et pourtant Dieu entend notre prière et il sait que notre prière lorsque nous lui demandons de nous convertir que notre prière est vraie même si nous sommes forts de toutes les bêtises que nous avons pu faire avant et que nous ferons après. Salomon est saint en cela qu’il est homme pleinement et Dieu le prend au sérieux dans sa vie humaine pleine, vraie, authentique et il lui faut être réaliste sur sa vie pour dire au Seigneur : « tu sais, tu as vu comment je suis devenu roi ; et tu as vu que je suis très jaloux et que j’aime le pouvoir, et que j’aime tout maitriser et tout régenter ; tu as vu que j’ai intrigué pour devenir roi et pourtant maintenant que je le suis, je comprends que j’ai besoin de toi non pas pour prendre le pouvoir, non pas pour maitriser mais pour être vraiment moi, le petit Salomon qui a besoin de ta sagesse ». C’est ça notre prière au quotidien. Je suis seulement moi mais vraiment moi devant toi qui est totalement toi. J’ai besoin de ta sagesse. J’ai besoin de ta sagesse pour que ta générosité m’aide à devenir saint, pour que ta générosité m’aide à entendre ce que tu as envoyé ton Fils nous dire : « heureux les doux, heureux les pauvres, heureux les humbles, heureux les artisans de paix » ; je n’en suis pas capable mais ton abondance en grâce me rend capable de faire parce que tu es le présent de ma vie, tu en es aussi le vrai futur. Le Royaume de Dieu est comparable à la vie de tout un chacun habité par la grâce et transcendé par elle pour annoncer au présent dans le futur de Dieu. Avons-nous compris cela ?

1 r 3 ? 5 ;7-12

Rm 8, 28-30

Mt 13, 44-52

17 DIMANCHE DU TO

ANNEE A

Frère Bruno CADORE