I Dimanche de Carême année A

9 mars 2014

Mt 4, 1-11

Homélie du frère Pavel Syssoev
du couvent de Bordeaux

Jésus fut conduit au désert par l’Esprit pour être tenté par le démon . ..

La tentation du Christ est pour nous tous une bonne nouvelle, et cela à trois titres.

Premièrement, la faiblesse et la tentation ne sont pas un péché. Le Christ est tenté, pourtant il ne se soumet pas au mal. Le Christ est faible, affamé, confronté aux limites de notre humanité, et dans tout cela, il continue d’aimer son Père par-dessus tout. Insistons, dans tout cela, non pas malgré cela. Voire même, fuir cette faiblesse, fuir ces limites, c’est exactement ce que le tentateur lui suggère. Ne pas avoir faim, dominer le monde, se moquer des dangers – cela ne nous libère pas du mal, bien au contraire, nous jette sous sa domination. Vivre en enfant de Dieu ne signifie pas être sans blessures, sans limites, sans faiblesse, mais habiter ces faiblesse par une humble confiance à notre Créateur, à notre Dieu, à notre Père. Nos faiblesses nous rendent vulnérables, cela est vrai. Mais la vulnérabilité, n’est pas encore le péché. Quand nous prétendons tout dominer, tout contrôler, quand dans notre vie – très spirituelle à nos yeux – il n’y a plus de place pour la soif et le faim, alors demandons-nous si nous n’avons pas pactisé avec l’efficacité du mal. Il est juste et bon de rêver d’une vie libre de souffrance, libre de douleur, libre de blessures. Mais nous n’y accéderons pas autrement que par la Croix du Christ. Sans elle, notre pain, ne sera que des pierres, notre sécurité – une provocation de Dieu et notre puissance – la soumission au prince de ce monde.

Deuxièmement, le péché n’est pas une nécessité. Aussi faibles, affamés, limités que nous sommes, le choix du mal se propose à nous, il ne s’impose pas. Nous avons pu emprunter les chemins de traverse, notre vie est marquée par le mal que nous avons commis, pour autant nous ne sommes pas livrés à sa puissance. Plus exactement, le mal nous domine dans la mesure où nous nous soumettons à lui. Son pouvoir est celui que nous lui accordons. Imaginons quelqu’un soumis à une très rude dépendance. Il décide de lutter, il prend les moyens nécessaires, il se reconnaît humblement pauvre et malade, ayant besoin d’aide, il fuit les occasions de chuter, il lutte autant qu’il peut. Peut-être connaîtra-t-il des défaillances ; la victoire n’adviendra pour de bon qu’au terme d’une très longue route. Mais cet homme qui lutte, tout tourmenté qu’il peut être dans son combat n’est pas dans le péché. Le Seigneur ne nous demande pas de vaincre, c’est à lui de le faire. Il nous demande de nous battre, autant qu’il faudra, joyeusement et patiemment. Non, le péché n ‘est pas une nécessité.

Troisièmement, dans la tentation, nous ne sommes pas seuls. Le Christ n’est pas seul au désert. Il y est conduit par l’Esprit. Dans notre opposition au mal, l’Esprit est l’œuvre. Lui seul peut nous suggérer ce qu’il nous faut faire, lui seul peut nous donner la souplesse et la force nécessaires pour tenir. Faisons un pas de plus, c’est parce que l’Esprit est l’œuvre en nous, que les tentations peuvent nous assaillir. L’adversaire ne combat pas celui qui le sert fidèlement. C’est au moment quand nous nous révoltons contre le père du mensonge qu’il veut nous rattraper. Nous pouvons nous sentir seuls, abandonnés, dans les ténèbres, mais ces ténèbres sont un signe – paradoxal, il est vrai – de la présence de l’Esprit.

Tout ce qu’il y a en nous de faible, de fragile, de tordu revivra sous le souffle de l’Esprit. Non, la tentation n’est pas le péché. Non, le péché n’est la nécessité. Non, face au mal nous ne sommes pas seul. C’est pourquoi, la tentation du Christ est vraiment une bonne nouvelle.