1er avril 2018

Frère Thomas Aquinas PICKETT

Act. 10, 34a-37.43 ; Col. 3, 1-4 ; Jn. 20, 1-9

          Beaucoup de philosophes disent que nous avons un désir naturel de connaître les mystères. Donc, si mon accent vous intrigue, c’est complètement naturel. Ce n’est pas polonais, tchèque ou belge, c’est celui des Etats-Unis : Happy Easter, Joyeuses Pâques…

En mille neuf cent soixante-sept, Kathrine Switzer est devenue la première femme à courir au marathon de Boston, ou comme nous disons aux Etats-Unis, Bah-ston. Pendant la course, un homme l’a poussée et a essayé violemment de l’empêcher de concourir. Et pourquoi ? Parce que, à cette époque-là, la course était considérée comme une activité convenable seulement pour les hommes. Mais ça n’est pas nouveau. Pendant le XVIIIème siècle, Jean-Jacques Rousseau, qui est bien connu pour sa délicatesse et sa sensibilité, a écrit dans son œuvre Emile que : « Les femmes ne sont pas faites pour courir…La course n’est pas la seule chose qu’elles fassent maladroitement, mais c’est la seule qu’elles fassent de mauvaise grâce ». Et autrefois, les femmes à l’époque de la Grèce antique avaient l’interdiction même de regarder la course lors de Jeux Olympiques.

Du coup, c’est sans surprise que nous constatons qu’aucune femme ne court dans l’Ancien Testament. Elles sont prophètes, mères, espionnes, chanteuses, mais jamais, jamais une femme est une coureuse. C’est remarquable ! La seule fois où nous voyons une femme courir dans la Bible, c’est aujourd’hui, à Pâques, avec Marie-Madeleine, tandis qu’elle court au tombeau. Et parce que nous avons un désir naturel de savoir, nous nous demandons pourquoi elle fait cette action audacieuse et sans précédent. Court-elle de peur ? Est-elle affolée face à cet évènement inattendu, à la pierre enlevée du tombeau du Christ ? ou peut-être prit-elle la fuite à cause de la confusion, ou bien à cause de la tristesse ? Ou encore, à cause de la déception ?

Toutes ces explications sont bien raisonnables, mais, à mon avis, elles passent à côté de la question. Si c’est à cause de la peur ou de la tristesse que Marie-Madeleine court, cela signifie que la Résurrection du Christ est un évènement effrayant et attristant. Mais ce n »est pas le cas. Nous ne chantons pas aujourd’hui : C’est terrifiant ! mais Alléluia ! Le tombeau ouvert veut dire que maintenant, nous avons un accès facile à la vie, à la joie, à la grâce du Christ, là où naguère la pierre de nos péchés nous barrait la route. Comme dit saint Paul : vous êtes passés par la mort et votre vie reste cachée avec le Christ en Dieu. Par la foi, nous recevons la vie et la mort est vaincue en nous.

Juste la semaine dernière, la confiance en cette vie cachée avec le Christ, en la réalité de la pierre enlevée, la foi a insufflé le courage à Arnaud Beltrame de sacrifier sa propre vie pour les autres, à Carcassonne. Nous pourrions encore demander : Pourquoi ? Sa femme Marielle a expliqué clairement : « On ne peut comprendre son sacrifice si on le sépare de sa foi personnelle ». De la même façon, la course de Marie-Madeleine n’était pas provoquée par la faiblesse ou la peur ou la mauvaise grâce, mais à cause d’une foi vive, une foi en Christ qui ne peut pas rester inactive, mais qui tient à se répandre par la force la puissante au monde : l’amour du Christ.

Marie-Madeleine court parce qu’elle aime, elle aime Celui qui est ressuscité, elle aime ceux qui attendent de bonnes nouvelles, son cœur a hâte de partager sa joie, sa foi. En fait, saint Thomas d’Aquin remarque qu’elle ne court pas simplement à cause de l’amour, mais à cause d’un excès d’amour, en latin, ex nimio amore.

           Du coup, aujourd’hui, aucune réaction ne peut nous suffire sauf pour courir, non pas par les pas du corps mais par ceux de l’esprit, du cœur, de l’âme. Nous faisons le premier pas en croyant, nous nous mettons à marcher en espérant, enfin nous courons en aimant. Pour courir ainsi, peu importe si vous êtes vieux ou jeune, pauvre ou riche, de Dax ou de Paris, si vous êtes infirme, solitaire, confiné, émotif, non-artistique, laid, bègue, nerveux, dégonflé, malade ou dur d’oreille. Les saints, les héros de la foi ont été fait en ayant des problèmes comme ceux-ci ou pire. La différence est qu’ils ont osé, ils ont choisi personnellement de courir au taquet sur le sentier d’amour, tracé par le Christ ressuscité. Cette course des saints, que nous espérons suivre, présage bien les qualités que nos corps auront quand nous –mêmes seront ressuscités. Saint Thomas explique qu’ils seront « doués d’une agilité qui ne connaîtra ni difficulté ni effort ». Donc, si nous courons avec l’amour sur la terre, nous allons courir avec la gloire au ciel.

Mes sœurs, il nous sied de remarquer que la course de Marie-Madeleine inspire à son tour la course des Apôtres Jean et Pierre. C’est quelque chose qui nous convient très bien pour nous en tant que membres de la famille dominicaine. Premièrement parce que, comme Marie-Madeleine, votre rencontre personnelle avec le Seigneur ressuscité et votre course sur le sentier de saint Dominique est la source de tous les efforts apostoliques de l’Ordre, soit en France, soit à l’étranger, même aux Etats-Unis. Ce que cet évangile aimerait vous dire est de rester courageuses, fidèles, joyeuses.

Deuxièmement, selon saint Augustin, Pierre et Jean sont les symboles de la vie active d’un côté et de la vie contemplative de l’autre. Le fait que Jean court plus vite que Pierre nous réjouit, puisque c’est un signe de l’efficacité de notre contemplation, notre étude et notre observance. Mais, tirons la leçon du fait que, bien que Jean coure plus vite que Pierre en arrivant au tombeau, à la fin c’est Pierre qui entre le premier. Le contemplatif est surpassé par l’actif. Saint Thomas explique : « Il arrive très souvent, en effet, que le contemplatif parvienne le premier à la connaissance des mystères du Christ par son aptitude à apprendre, mais il n’entre pas ; car, parfois, l’intelligence est première mais l’amour ne suit que tardivement ou ne suit pas ». La fête de Pâques, c’est l’occasion pour nous de renouveler notre engagement d’entrer dans la connaissance et l’amour du Christ, d’habiter ensemble dans l’unanimité, ne faisant qu’un cœur et qu’une âme en Dieu, de courir aussi comme saint Paul, qui dit : Une seule chose compte : oubliant ce qui est en arrière et lancé vers l’avant, je cours vers le but du prix auquel Dieu nous appelle là-haut dans le Christ Jésus.