vigiles pascales, frère Vincent TIERNY, OP

Nous avions laissé Jésus prononcer ses dernières paroles, « tout est accompli », sur les auteurs du Golgotha. L’histoire singulière du Fils de Marie semblait alors se conclure définitivement et peu glorieusement.

Le petit groupe des disciples restait inerte et muet. Ces hommes qui avaient accompagné Jésus durant trois ans et avaient placé toute leur espérance en lui avaient passé la journée du samedi sans avoir plus envie de croire ni de faire quoi que ce soit, plus même envie de vivre.

A l’aube du troisième jour pourtant se profile une première réaction timide face à la bouleversante catastrophe : un petit groupe de femmes se rend au sépulcre de Jésus, portant les aromates qu’elles avaient préparés.

Leur cœur est plein de douleur et d’amour, mais vide d’espérance. Elles pensent seulement à donner les derniers honneurs à un défunt qui avait été si proche.

Un véritable lien d’admiration et d’affection avait été noué avec Jésus.

Un lien qui désormais était rompu pour toujours, elles en étaient convaincues. Leur intention était donc seulement d’embaumer un cadavre.

 

Embaumer le Christ ! L’improbable entreprise de ces femmes est aussi celle de tous ceux qui en présence de son « Corps », ou plutôt du « Christ total » qui est l’Église, adoptent une attitude similaire.

On respecte souvent l’Église comme un corps mort, on l’apprécie comme inspiratrice et gardienne d’œuvres d’art géniales, on va même jusqu’à la soutenir et l’aider pour son action sociale bénéfique, mais à une seule condition :

qu’elle ne se présente plus comme protagoniste de l’histoire, qu’elle n’inquiète plus la fausse paix des consciences égarées, qu’elle renonce à encourager contre vents et marées chaque homme de ne pas confondre le bien et le mal.

 

Cette « momification » honorifique, le Christ n’en veut pas ! lui qui est « ressuscité d’entre les morts, il ne meurt plus ; la mort n’a plus de pouvoir sur lui » (Rm 6,9) ;

Et il n’en veut pas non plus pour son corps qui est l’Église. Elle est son corps et reste active dans les siècles.

Sans envahir les champs qui ne sont pas les siens, elle désigne sans relâche la ligne d’arrivée de tout homme, qui est la vie éternelle.

Elle ne se laisse pas exclure des espaces publics et des centres d’intérêts de l’existence ici-bas. L’Église avec sa tête, le Christ, ne peut rester prisonnière d’un tombeau, aussi beau soit-il.

 

Arrivées au lieu de la sépulture, les femmes trouvent « la pierre roulée sur le côté du tombeau », mais non « le corps du Seigneur Jésus » : le tombeau est vide !

Tout est déjà arrivé ; tout est arrivé dans l’obscurité et le silence de la nuit.

Le plus grand prodige de tous les temps a été enveloppé par le secret de Dieu et soustrait à toute exploration indiscrète.

Tel est le style, la manière préférée d’agir de celui qui opère ses merveilles dans l’intériorité, comme en cachette.

C’est une leçon de sagesse divine qui peut nous être utile : Dieu ne se soucie pas trop du spectaculaire et des cotes de popularité.

La résurrection, y compris la résurrection morale et spirituelle de tout homme, commence à l’intérieur. Elle ne ressemble pas au bruyant changement d’orientation politique, au passage revendiqué d’un camp à un autre,

mais au bouleversement profond et personnel du mode de penser, d’aimer, de se comporter, de juger les doctrines, les personnes, les évènements.

Notre résurrection personnelle commence forcément par la conversion du cœur, qui a été le début de l’annonce évangélique (Mc 1, 15) et en reste aujourd’hui le contenu substantiel.

Le rédempteur crucifié et ressuscité suscite ce bouleversement et le rend opérant dans l’existence de chaque homme qui ne veut pas délibérément se fermer à cette proposition de salut.

 

« Pourquoi cherchez-vous le vivant parmi les morts ? » Les messagers célestes, qui s’approchent des femmes en habits éblouissants, ne les complimentent pas pour leur empressement, on pourrait même dire qu’ils vont à l’essentiel avec une gentille ironie.

L’expérience vécue par les femmes est en fait universelle, pour tous ceux qui recherchent le Christ.

Jésus doit être cherché là où il est vraiment, pas dans un tombeau ou les cases dans lesquelles notre pensée ou le monde voudraient l’enfermer.

L’expérience des saintes femmes, notre expérience en cette nuit se résume en quelques mots : Qui cherche le Crucifié trouve le Ressuscité !

 

Il est ressuscité ! L’annonce surprenante et joyeuse des anges fleurit ce soir dans toutes les églises du monde et parcourt toutes les rues de la terre. Telle est l’annonce que nous avons recueillie.

Jésus nous dit : ne pleurez pas, je suis vivant !

Si Jésus est vivant, vivante est la certitude que notre existence n’est pas une blague cruelle du hasard, mais une aventure d’amour qui obéit à un dessein d’amour.

Si Jésus est vivant, vivante est notre certitude que nous serons sauvés, si nous le voulons vraiment, de notre égoïsme, de notre obstination, de nos péchés.

Si Jésus est vivant, nous aussi, ses frères, sommes appelés à vivre pour toujours ; s’il est vivant, son Père est aussi notre Père, son but est aussi le nôtre, sa gloire sera aussi notre gloire !

Pâques est vraiment le jour qu’a fait le Seigneur. Le jour durant lequel, après les ténèbres du vendredi, après les amertumes de notre vie, après la nuit d’un monde qui poursuit le bien-être et aboutit le plus souvent au désespoir, nous arrivons vraiment à la lumière et à la joie.

Le Christ est ressuscité, il est vraiment ressuscité, que notre vie ne cesse de proclamer au monde la grande nouvelle !

Rm. 6, 3b-11 ; Lc 24, 1-12