homélie du 2e dimanche de carême, frère Romaric MORIN, OP

A l’orée du carême, qui nous prépare à contempler le Christ crucifié au sommet du Golgotha, la liturgie nous invite aujourd’hui à contempler le Christ transfiguré au sommet du Thabor. Voilà qui a de quoi nous étonner car, à première vue, tout semble opposer ces deux scènes. Tout semble opposer Thabor et Golgotha. Tout semble opposer ces deux monts :

L’un est en Galilée, l’autre en Judée,

L’un est celui où il est bon demeurer, l’autre celui qui donne envie de fuir,

L’un est celui où les apôtres sont présents, l’autre celui d’où ils sont absents,

L’un est celui où le Christ est revêtu d’un manteau de lumière, l’autre celui où il est nu,

L’un est celui de la gloire du Christ, l’autre celui de son anéantissement,

L’un est celui de la nuée lumineuse, l’autre celui des ténèbres obscures,

L’un est celui où le ciel parle, l’autre celui où Dieu se tait.

Oui, tout semble opposer le Thabor au Golgotha. Au point même que l’un paraît l’exact contraire de l’autre, son image renversée, son négatif photo. Et c’est justement parce que tout les oppose qu’ils sont en définitive si proches l’un de l’autre, si similaires l’un à l’autre. Car, dans un cas comme dans l’autre, à l’instar de la photo et de son négatif, c’est toujours la même image qui figure.

 

En l’occurrence c’est toujours le Christ, le même Christ, en tant qu’il manifeste sa filiation divine. Au dire de la voix venue du ciel, il est le Fils bien aimé du Père au Thabor. Au dire du centurion au pied de la croix, il est le Fils de Dieu au Golgotha. Au Thabor comme au Golgotha, c’est donc toujours la gloire même du Christ qui se manifeste, à travers ombre et lumière, à travers son exaltation comme à travers son anéantissement.

Car, aussi étonnant voire révoltant qu’il y paraisse, la croix tout autant que la transfiguration manifeste la gloire du Christ. La gloire de son amour infini que pas même la mort n’a arrêté ni brisé. De sorte que même ce qui semble être un échec et un anéantissement est en réalité un triomphe et une exaltation. Triomphe de l’amour qui se donne et qui pardonne. Triomphe non moins éclatant au Golgotha qu’au Thabor.

Ainsi comprenons-nous mieux pourquoi à l’orée du carême l’Église nous donne d’entendre cet Évangile de la Transfiguration. Ce n’est ni une erreur ni une technique d’enfumage. Mais c’est pour nous montrer que le Thabor et le Golgotha forment une seule et même montagne, une seule et même manifestation, une seule et même révélation. Mais en deux tableaux, qui ne se comprennent bien chacun qu’à la lumière l’un de l’autre.

 

Chacun de ces tableaux, chacune de ces scènes prend tout son sens en effet à la lumière de l’autre. Thabor et Golgotha manifestent tous deux la gloire de Dieu, certes.

Mais le Golgotha sans le Thabor, annonciateur de la résurrection du Christ, nous conduirait au désespoir, tant nous serions écrasés par la noirceur des ténèbres. Et le Thabor sans le Golgotha nous conduirait à la présomption, tant nous nous croirions déjà illuminés d’une gloire que nous ne goûterons et verrons qu’au ciel et dont nous oublierions le prix payé.

Tandis que le Golgotha nous permet de ne pas oublier les souffrances par lesquelles le Christ nous a sauvés, le Thabor, quant à lui, nous permet de ne pas oublier en retour que ces souffrances ne sont pas le point final. Il faut donc et le Thabor et le Golgotha pour que nous puissions porter un juste regard sur la gloire du Christ, le regard de l’espérance.

 

Car c’est elle, l’espérance, qui est ici déterminante. L’espérance, cette vertu qui nous invite à faire confiance à Dieu pour demain, au-delà des épreuves d’aujourd’hui, en nous souvenant des merveilles que Dieu a accomplies pour nous hier. C’est l’espérance qui, alimentée du souvenir du Thabor, aurait dû soutenir les apôtres à l’heure du Golgotha. C’est l’espérance qui, alimentée du souvenir des merveilles de Dieu, doit nous soutenir aux heures sombres de notre vie. Non en nous faisant croire qu’avec Dieu nous ne connaîtrons plus qu’une vie radieuse et lumineuse sans ombre ni ténèbres. Mais en nous rappelant que, au cœur même de ces ténèbres, le Christ demeure avec nous, qu’il est la lumière qui luit dans les ténèbres, qu’il est notre lumière.

Que la lumière du Thabor vienne éclairer les ténèbres du Golgotha dans notre vie. Que même lorsque nous sommes défigurés par ces ténèbres, nous restions transfigurés. Amen.

Dimanche 28 février 2021

2e dimanche du carême – année B (Mc 9, 2-10)

Frère Romaric MORIN

Monastère de Dax, février 2021