Dimanche 13 août 2017

19 ème du temps per annum – année A

Frère Dominique MOTTE

1 R. 19, 9a. 11-13a ; Rm. 9, 1-5 ; Mt 14, 22-33

C’est moi, confiance ! C’est moi ! En pleine tempête, en pleine nuit. C’est l’aveu d’une reconnaissance en cours, le dévoilement d’une identité en recherche passionnée de l’identité d’un autre, un pas vers des retrouvailles d’autant plus désirées, réciproques et vécues comme un bouleversement, qu’elle auront été précédées d’un temps plus ou moins long d’absence, de changement, de doute, d’épreuve.

Quel émoi dans bien des reconnaissances : j’en citerai deux, en ce temps-ci, qui nous aideront à ressentir tout ce qu’il y avait dans le « C’est moi ! » de ce temps-là, sur les eaux du lac.

Retour à la guerre 14-18. Quatre ans de tranchées, l’homme dont le petit-fils est mon ami, frappe à la porte de la ferme. C’est sa femme qui ouvre et lui dit : « Monsieur, vous désirez quelque chose ? Que puis-je faire pour vous ? » Il répond d’un seul mot, son nom, comme un certain jardinier face à Marie-Madeleine : « Marie ! »…Jusque-là, elle ne l’avait pas reconnue.

Et plus près de nous, semblable retour d’un otage retenu trois ans dans les geôles du Moyen-Orient : Jean-Paul Kaufmann. La télévision, presqu’indiscrète, nous le montre sur le tarmac, les bras ballants, totalement désappointé de ne voir personne venu l’accueillir et pourtant, on avait poussé vers lui, à bout portant, son fils devenu adolescent et qu’il ne reconnaissait pas, n’identifiait pas au passé de ses affections.

Ainsi, trois moments tissent une vraie reconnaissance :

– il faut d’abord qu’il y ait eu un passé, un passé constructeur entre deux êtres,

– il se trouve ensuite que surgit une brèche dans cette histoire commune, plus ou moins longue, source d’étrangeté, de doute sur l’autre ou sur soi-même,

– et enfin la possibilité d’une réconciliation passé-présent qui s’insinue ou éclate. L’élément nouveau est accepté dans les embrassades, de l’avenir à nouveau possible.

C’est le moment de revenir vers le « C’est moi ! » qui jaillit en notre texte, ce n’est pas une discussion de salon, sur les fauteuils Louis XV, un verre à la main. C’est encore la nuit, en pleine mer. Jésus est en parfaite maîtrise de Lui-même, pensant sans doute que ses disciples avaient recueilli les leçons de l’extraordinaire multiplication des pains et que marcher sur les eaux ne serait pas perçu par eux autrement que comme signe d’amitié pour les rejoindre en pleine tempête. Catastrophe, c’est, de plus belle, la panique : un fantôme et on retrouve bien les trois éléments notés plus haut, pour admirer dans le « C’est moi ! » jailli en pleine mer, en pleine nuit, un outil inouï de reconnaissance que le monde entier mériterait d’entendre : Dieu Lui-même dit : C’est moi, en pleine pâte humaine.

– le « c’est moi ! » en appelle d’abord à une histoire commune : il y a entre eux rencontre, attrait, attachement, entrée dans une nouvelle vie. N’oubliez donc pas tout çà, c’est bien moi !

– c’est moi, c’est ensuite l’aveu qu’il y a aussi en Lui un pouvoir mystérieux venu d’ailleurs. Il le leur a déjà montré, le moment est venu de leur en dire et montrer davantage, de la part du Dieu des patriarches et des prophètes, certes, cela est Moi aussi, mais c’est encore le moi que vous connaissez.

– et enfin la reconnaissance est confessée par Pierre qui se jette à l’eau, qui adhère passionnément au « c’est Moi » du Maître. Mais cela ne dure pas ou encore si peu, son essai de marcher sur l’eau tourne mal et Jésus joue les maîtres-nageurs.

« C’est moi ». Vous avez finalement repéré à quel point nous sommes proches du récit de dimanche dernier, de la Transfiguration : on peut dire que Jésus était en pleine expérience mystique, transformant jusqu’à son visage : en conversation avec Moïse et Elie, prêt à écouter la voix du Père et à se revêtir de la nuée et il revient toucher ses amis qui paniquent. Les toucher, c’est un « c’est moi » en acte, je suis certes celui qui prie ainsi mais je n’en demeure pas moins le moi-même que déjà vous connaissez. Ceci me permet avant de terminer de toucher du doigt la prière qui devrait être la nôtre en ce temps-ci, où le monde a tellement besoin que l’en temps-là d’il y a deux mille ans s’actualise, car Dieu est tout autant aujourd’hui qu’hier préoccupé de dire « c’est moi » en plein milieu de nos tempêtes

Toute prière est reconnaissance et non pas récitation de formules. L’écrin peut en être des formules mémorisées, mais le joyau en est le « c’est moi » qui suppose une histoire commune, qui suppose ensuite le courage d’évoquer en quoi la droite du Seigneur a changé, comme dit le psaume 76, c’est trop lourd à porter dans le monde, dans l’Eglise, en moi-même, mais le « c’est moi » -troisième moment dans la reconnaissance- s’offre à réconcilier le passé et le présent et à ouvrir l’avenir, soit surtout dans la paix, telle une brise légère, soit en décidant d’essayer à notre tour de marcher sur l’eau avec lui à chaque moment.

En resserrant l’Alliance, l’Eucharistie aussi nous murmure, telle une brise légère : « c’est Moi ! ». Amen