Dimanche 23 juillet 2017

16 ème du temps per annum – année A

Frère Joseph-Thomas PINI, Dominicain du couvent de Marseille

Sg. 12, 13. 16-19; Rm. 8, 26-27; Mt. 13, 24-43

La belle saison de Dieu

Entre celle du semeur dimanche dernier et celles de la perle et du filet dimanche prochain, nous proclamons et entendons aujourd’hui plusieurs autres de ces « paraboles du Royaume » qui ornent l’Evangile selon saint Matthieu. Une série de paraboles ménagères et agricoles, multipliant les images communes pour permettre au Christ de nous faire entrer pas à pas dans l’intelligence du mystère de ce Royaume. De ces images quotidiennes et, pour certaines, accordées à notre saison, il ne faudrait pourtant pas réduire la Parole à une sorte d’Almanach Vermot ! Car, dans l’enchaînement des paraboles, le Christ se fait pédagogue et nous fait découvrir, dans l’ordre des choses et l’ordre dans les choses, le dessein de Dieu. Suivant l’exposition que nous avons entendue extraite du livre du la Sagesse, Lui nous fait comprendre, plus justement encore, non tant en quoi, mais en qui consiste la force, la bonté, la patience de Dieu : Lui-même, « puissance de Dieu et sagesse de Dieu » (1 Co 1, 24), qui ouvre en Lui à ceux qui L’accueillent le secret du Royaume.

Ces situations et images familières ne sont donc pas la série de petites histoires disparates qu’elles paraissent trop rapidement. Elles forment plutôt comme un psaume de la création ou de louange où chacune est un couplet et toutes sont rythmées et poncturées par un refrain : la phrase-clé ouvrant la première, entendue dimanche dernier, « Voici que le semeur est sorti pour semer ». Car c’est ce Semeur, sorti du sein du Père et venu dans le monde, qui est le sens, la substance et la forme de ce Royaume. Dès lors, la cohérence apparaît bien entre les deux brefs récits de la graine de sénevé et du levain. Deux traits capitaux ressortent en particulier. Le premier est celui du caractère irrésistible de la croissance du Royaume : celle d’une graine minuscule en terre, celui d’une pâte levant. Le deuxième est celui de la démesure, propre à nous faire saisir l’abondance, la générosité et la puissance du don de Dieu : de quantités culinaires déséquilibrées, à une description quasi « marseillaise » d’une graine minuscule (mais non la plus petite) devenant arbre, ou au moins arbuste à oiseaux (en reprenant une image de la prophétie de Daniel – Dn 4, 8 sq – et à celle d’Ezéchiel – Ez 17, 23).

Elles nous aident alors, sous le signe de la cohérence, à comprendre ce que vise l’autre parabole, celle de l’ivraie. Avec mansuétude car la question est l’une des plus épineuses : le mystère du mal, du mal persistant et si actif alors que nos cœurs nous portent naturellement au bien, alors que le Christ est déjà victorieux, cette semence fourbe de l’Adversaire dans la bonne terre (plus de bordure de chemin, ni de pierraille, ni de ronces ici), ce mal qui hante l’homme, préoccupe et ébranle les chrétiens depuis les origines et qui nous fait, comme le Psalmiste, si souvent entendre : « Où est-il, ton Dieu ? » (ps 41, 4).

Jésus, donnant, comme la semaine dernière et de manière inhabituelle, Lui-même le sens de la parabole, nous éclaire déjà sur l’étendue et la « consistance » du mal. Dans le grec, le terme ivraie se dit zizania : la confusion entre les semences, le désordre et la division dans le champ, tels sont bien les traits, objet et effets, du mal. De même, ces « fils du Mauvais » semés à côté de ceux du Royaume, sont non seulement ceux qui agissent en faisant le mal, mais aussi qui créent le trouble en leurs frères et les détournent du bien, mettant ainsi l’accent sur les dimensions exactes du péché. Quant au champ du monde, la cohérence entre toutes les paraboles comme la compréhension de la racine de ce mal, nous font saisir sans peine qu’il s’agit autant du champ de notre âme.

Mais le Christ nous révèle et nous confirme aussi trois points essentiels. Tout d’abord, le mal n’est pas en Dieu , le mal n’est pas de Dieu , il est sous Dieu . Cette souveraineté unique et absolue de Dieu, et Son antagonisme ontologique avec le mal, sont une première partie de la réponse à l’angoissante question du « pourquoi ». Outre l’épreuve que Dieu peut permettre pour « purifier l’or au creuset », le souci de ne pas endommager le blé dans sa croissance en arrachant prématurément l’ivraie traduit l’exact dessein de Dieu : la croissance du bien dans la perfection des fils du Royaume.

Elle explique le second point : ce « temps de Dieu », déroutant au point que nous l’interpellons parfois (« Réveille-toi ! Pourquoi dors-tu, Seigneur ? » ps 43, 24). Le maître souverain des semailles et de la moisson a en considération ce temps de la maturité, celui que ne peut qu’ignorer l’épi lui-même. Le temps laissé à la croissance du bien dans le monde et les cœurs, le temps de se convertir. Ce temps au terme duquel Sa puissance sera justice, comme Sa justice a été et est miséricorde.

Mais pourquoi la croissance du mal ? Le Christ, en troisième lieu, nous fait saisir une réponse à la question : cette puissance créée et détournée, qui joue du désordre et du dérèglement affectant notre nature, n’est laissée que pour sa course vers le mal même, c’est-à-dire la privation d’être, le néant, de sorte qu’il n’y a rien d’équivalent entre le Semeur et l’Adversaire. Mais qui donc a besoin d’une telle pédagogie du bien ? Qui donc a besoin de voir son Dieu en croix pour comprendre mieux et vraiment Son amour ? Qui a besoin des signes, des révélations disposées et répétées selon tous les modes accessibles ?

C’est incontestablement à nous que le message est délivré. Un réconfort et une monition. Tout s’accomplira immanquablement de ce que Dieu veut, et ce qu’Il veut, est notre bien éternel de sorte qu’Il a tout disposé pour nous à cette fin. La puissance d’amour et de bien de Son Règne est irrésistible, et portera son fruit selon le temps voulu. Mais il faut du fruit, dès lors que tout est ordonné à cela : le fruit de la parabole des talents, le fruit de l’étrange récit du figuier desséché (apparemment injustement puni de ne pas porter du fruit hors saison, si l’on ne regarde pas que le Christ est là pour le cueillir). La saison de la vie selon Dieu et en Dieu, c’est un printemps et un été de fleurs et de fruits, où nous portions en Lui du fruit en abondance.