11 août 2019 homélie pour la profession solennelle de soeur Marie-Véronique par le frère Olivier Poquillon, OP

« La miséricorde de Dieu et la vôtre »

La miséricorde de Dieu, ça va ! et la vôtre : c’est plus dur ! nous le savons tous frères et sœurs. Nous avons commencé par voir une sœur allongée sur le carrelage, le nez dans la poussière le nez dans la poussière. C’est de cette poussière que nous sommes tirés et à laquelle nous retournerons. La poussière !  Nous sommes tirés de cette poussière, et de cette matière, de cette vie quotidienne, de cette famille, de cette culture, de ce beau pays de la Réunion. Et puis, de cette matière, Dieu nous donne la vie. Il nous met debout ; il nous relève comme ta prieure vient de te relever, au nom du Christ. Alors, nous savons que ça c’est le début de l’histoire et puis la fin de l’histoire, en tout cas sur cette terre, c’est ce que tu diras tout à l’heure, si tu le veux, librement : « jusqu’à la mort » et la mort : retour à la poussière.

La question qui se pose aujourd’hui c’est : « qu’est-ce qu’on fait entre les deux ? ». Que faisons-nous de cette vie que Dieu nous donne ? La considérons-nous comme un don ou comme un pensum, comme une somme de devoir ou comme une joie ? Alors, nous l’avons chanté : « Exultez de joie, tressaillez d’allégresse car le royaume des cieux est donné » à ceux qui ont tout donné, et offert, et proposé ! On dit souvent, vous savez, je parle là plus du côté de l’assemblée, que c’est toujours la femme qui décide dans la famille, dans les couples. Alors, pour ceux qui sont venus en famille, en couple, on sait que c’est vrai. Et bien, dans l’Ordre, c’est aussi la même chose. Vous savez que saint Dominique a lancé un appel aux Cathares et les premières personnes à répondre ont été des sœurs. L’Ordre des Prêcheurs a d’abord été l’ordre des prêcheresses ; des prêcheresses ou des pécheresses ? Eh bien les deux ! Car c’est bien de cela qu’il s’agit : la conversion. Nous ne demandons pas le bonheur, la félicité, la beauté, la gloire, la richesse, ça c’est à Dieu que cela appartient. Nous demandons « la miséricorde de Dieu » à la suite des bienheureux pères, à la suite de Marie-Madeleine, l’apôtre des apôtres, cette grande prêcheresse qui a commencé par être une grande pécheresse.

Alors, que cette vie religieuse soit un peu comme notre eucharistie ! Nous commençons toujours par nous reconnaitre pécheurs et c’est parce que nous sommes pécheurs que nous avons des chances de nous convertir et de ne pas nous estimer heureux, satisfaits parce que nous sommes arrivés à une position. La seule position qui vaille pour le chrétien c’est une position en mouvement pourrait-on dire. Je ne sais pas si vous faites cela au monastère mais on a cette tradition dans l’Ordre : « la venia ». « La venia » pour les non-spécialistes est une espèce de prostration, un truc tout à fait bizarre, étrange, unique, grâce à Dieu, dans l’Ordre dominicain. Vous avez vu ici, sœur Marie-Véronique allongée, les bras en croix et le visage sur le sol, ce sol dont on est issu ; ça c’est la prostration. La « venia » c’est autre chose : on se couche par terre, on lance son scapulaire ; c’est une position totalement instable où on est au sol… une humiliation pour être relevé par Dieu. Là encore, « la vénia » dans notre tradition c’est se reconnaitre pour ce qu’on est : doué comme nous le rappelle l’Evangile, bon comme nous le rappelle le livre de la Genèse, mais perfectible, capable de Dieu. Alors, regardez-vous mes sœurs, regardez votre voisine. Allez-y ! Est-ce que vous voyez spontanément le visage de Dieu ? Pas tous les jours ! Nous le savons tous ; nous voyons plutôt ce qui nous agace – chez les sœurs, mais ça marche aussi pour les autres – les voisins, les voisines, en couple, en famille, dans nos diocèses, dans nos paroisses. Nous ne voyons pas spontanément le visage de Dieu parce que ce visage de Dieu il est à la fois un et multiple ; il est dans la multiplicité des temps.

Une jeune religieuse, quand on rentre à une trentaine d’année ou à une vingtaine d’année, on a un élan pour ses études, une forme d’obéissance à Dieu, une façon de dire « amen », une façon de demander cette miséricorde et puis, vingt ans après on a une autre façon et trente ans après encore une autre façon. Nous parlions avec sr Marie-Véronique de saint Pierre : « Pierre, m’aimes-tu ? ». C’est sur cette pierre que le Seigneur a bâti son Eglise. Pierre a renié trois fois et trois fois il a dit à Dieu : « Tu sais bien que je t’aime » et à chaque fois le Seigneur, notre Seigneur Jésus-Christ, l’a relevé et l’a envoyé en mission. Alors, frères et sœurs, Pierre n’a pas été envoyé en mission tout seul, comme Dominique n’a pas envoyé les frères ni les sœurs en mission seul. Il les envoyait deux par deux. On a peu de choses authentiques de saint Dominique ; première chose : « le grain entassé pourrit » ; deuxième phrase authentique : « Je sais ce que je fais ». Alors, frères et sœurs, si nous savons ce que nous faisons, ça vaut la peine ; ça vaut la peine, sans cesse, d’accepter nos limites, d’accepter notre finitude, d’accepter d’être poussière pour être relevés par Dieu. Nous ne sommes pas des Cathares, n’en déplaise aux guides touristiques. Le catharisme voyait la vie physique, la vie matérielle comme quelque chose de mauvais et le pur esprit des idées comme quelque chose de bon. Eh bien ! Dieu, lui, nous attend dans la réconciliation du corps, de l’âme et de l’esprit : l’unité de la personne… Alors, frères et sœurs : comment faire l’unité de notre personne ? Ce n’est pas seulement l’unité d’une sœur : corps, âme et esprit, ce n’est pas seulement l’unité d’une communauté monastique, ce n’est pas seulement la communauté diocésaine. L’unité du corps, c’est l’unité du Corps du Christ qui est l’Eglise !

Alors, frères et sœurs, si nous voulons, si nous voulons pouvoir nous relever et reprendre le bon chemin, combattre le bon combat, accepter cette miséricorde de Dieu, il faut nous accepter tels que nous sommes, comme des membres différents et complémentaires du Corps du Christ. C’est ensemble que le Salut nous est donné, c’est ensemble que la mission nous est confiée. Alors, frères et sœurs, tournons-nous vers le Christ, nettoyons cet espace que nous lui laissons entrevoir au cœur de nos communautés, entre nos stalles, au cœur de nos vies en prenant le temps de Dieu, au cœur de nos activités en le mettant à la première place. Alors, nous pourrons recevoir « la miséricorde de Dieu et la vôtre ». Amen.

 

Frère Olivier Poquillon