homélie du 25e dimanche du TO, année C, frère Joseph HUY, OP

Un gérant est accusé d’avoir dévoré et gaspillé la richesse de son maître. Le maître le fait appeler et lui dit ce qu’il a entendu parler de lui. Les faits sont si clairs et si douteux que le gérant n’essaie pas de se justifier ni de donner une explication. Il a immédiatement été renvoyé de sa responsabilité. Que faire maintenant? Il est en difficulté, il reste sans salaire et doit trouver le plus rapidement possible un moyen de garantir son avenir.

Le gérant malhonnête sait qu’il a peu de temps à sa disposition. Il commence à réfléchir. Il ne sait que surveiller; il n’est ni capable de travailler la terre ni d’avoir du courage pour demander l’aumône. Avant de quitter son emploi, il doit régler les comptes; de nombreux débiteurs de son maître doivent encore livrer les produits. Il réfléchit profondément, pèse bien le pour et le contre. Je comprends! s’écria-t-il avec joie, je sais ce que je dois faire. Il n’a demandé l’avis de personne, car il connaît déjà toutes les ficelles du métier. Il a compris par lui-même quel est le bon choix et il passe immédiatement à l’action.

Il fait venir tous les débiteurs et demande au premier: «Combien dois-tu à mon maître?» «Cent barils d’huile». Le gérant lui tapote l’épaule et dit: «Voici ton reçu, vite, assieds-toi et écris cinquante !» La dette qui s’élevait à peu près 5000 litres d’huile est réduite à moitié. Une économie de près de deux ans de travail pour un ouvrier! Ensuite, le deuxième débiteur entre en scène: il doit livrer cent sacs de grain. Le même scénario! Pas mal. À l’avenir, ces débiteurs bénéficiaires n’oublieront certainement pas sa grande générosité et ils se sentiront obligés de lui offrir l’hospitalité chez eux. L’histoire se termine avec le maître, ainsi que Jésus, louant ce gérant. Il a agi avec habileté.

Nous nous attendons à une conclusion différente. Jésus aurait dû dire à ses disciples: “N’agissez pas comme ce méchant; soyez honnête! »Au lieu de cela, il approuve ce que le gérant malhonnête a fait. La difficulté se situe ici: comment une personne malhonnête pourrait-elle être proposée comme modèle? Avant de l’expliquer, je voudrais faire remarquer que louer l’habileté d’une personne ne signifie pas être d’accord avec ce qu’elle a fait.

Cette difficulté n’existe pas si la parabole est interprétée différemment. Nous nous écartons de l’idée que si le maître se sentait de nouveau trompé, il serait scandalisé. S’il loue son ancien gérant, cela signifie qu’il n’a rien perdu dans ce processus. Nous devons présumer que le gérant cette fois-ci a bien réglé les comptes pour son maître.

Après avoir fait l’éloge de l’habileté du gérant, Jésus fait une observation: en ce qui concerne la gestion de l’argent, la conduite des affaires, la réalisation d’opérations, ses disciples – les enfants de la lumière – sont moins astucieux que ceux qui consacrent toute leur vie à amasser des biens – les enfants de ce monde. C’est bien normal : alors que «les enfants du monde» peuvent agir sans scrupules, les chrétiens doivent suivre d’autres principes et maintenir un comportement transparent et juste.

« Faites-vous des amis avec l’argent malhonnête, afin que, le jour où il ne sera plus là, ces amis vous accueillent dans les demeures éternelle. » C’est le dicton le plus important du passage d’aujourd’hui. Il synthétise tout l’enseignement de la parabole.

Nous remarquons surtout le jugement très dur que le Seigneur donne sur l’argent. C’est ce qu’on appelle «injuste», «acquis de manière malhonnête». La raison en avait déjà été indiquée par Amos dans la première lecture. Nous avons entendu son explication sur l’origine des richesses. Après lui, un sage de l’Ancien Testament a affirmé: «De même qu’un clou s’enfonce dans la jointure des pierres, entre la vente et l’achat s’insinue le péché.» (Sir 27, 2)

Ce n’est pas une condamnation des biens de ce monde; ce n’est pas non plus une invitation à les détruire, ou à s’en libérer comme s’il s’agissait d’objets impurs. C’est une observation: dans l’argent accumulé, il existe toujours des formes d’injustice, d’exploitation et de détournement. Jésus enseigne la méthode pour purifier les richesses injustes.

Le gérant malhonnête est un modèle de capacité parce qu’il a une idée géniale. S’il consultait ses collègues, ils l’exhorteraient à en profiter jusqu’à la fin de son mandat et même plus d’augmenter le revenu. Il comprend que l’argent peut dévaluer, puis il décide de tout miser sur ses amis. C’est le choix sage que Jésus encourage à faire et il assure le succès de l’opération: les bénéficiaires de cette vie resteront toujours à nos côtés et ils témoigneront en notre faveur le jour où l’argent n’aura aucune valeur.

Il ne s’agit pas de favoriser le don de tout ce que l’on possède. Ce serait un geste insensé, pas vertueux. Cela n’aiderait pas les pauvres, mais augmenterait leur misère et favoriserait les paresseux. Ce que Jésus voudrait que nous comprenions, c’est que le seul moyen habile d’utiliser les biens de ce monde est de les utiliser pour aider les autres, pour les rendre amis. Ce sont eux qui vont nous accueillir dans la vie éternelle. « Sur la terre l’argent ouvrait les portes et facilitait les relations. Arrivé là-haut, plus rien ! Les gens que nous avons aidés en utilisant notre argent sont là pour le redire au Très-Haut : nous ne sommes pas nus mais merveilleusement habillés par notre générosité…nous ne sommes pas des étrangers pour le Dieu d’amour car nous étions nous-même amour. » (cf. André Sève, Rendez-vous d’amour, p.260)

Jésus conclut son enseignement en affirmant qu’aucun serviteur ne peut servir deux maîtres, Dieu et l’argent en même temps. Peut-être que nous voudrions faire plaisir aux deux: nous donnerons au premier le dimanche et à l’autre les jours de la semaine. Ce n’est pas possible car les deux sont des maîtres très exigeants. Ils ne tolèrent pas qu’il y ait une place pour un autre dans le cœur d’une personne et surtout, ils donnent des ordres opposés. L’un dit: «Partagez vos biens, aidez vos frères et sœurs, pardonnez la dette des pauvres…», l’autre exhorte: « Pensez à vos propres intérêts, étudiez bien tous les moyens de gagner de l’argent, accumulez de l’argent, ayez tout pour vous….»

Frères et sœurs, quel maître servons-nous ?

25ème Dimanche du Temps Ordinaire

22 septembre 2019

Frère Joseph Huy