5e dimanche de carême, année A, frère Sylvain DETOC, OP

 

Ces mots qui donnent la vie

La semaine dernière, Jésus guérissait un malade ; aujourd’hui, il ressuscite un mort. La semaine dernière, Jésus donnait la vue à un aveugle ; aujourd’hui, il donne la vie à un défunt. En somme, entre le signe posé dans l’évangile de l’aveugle-né et celui de la résurrection de Lazare, la pédagogie de Dieu, reflétée par la progression liturgique de ce Carême, nous invite à faire un pas de plus, à monter une marche supplémentaire vers la Pâque du Seigneur.

Ce progrès on peut en saisir la portée à partir des mots que Jésus prononce sur le cadavre de son ami Lazare. Jésus est la Parole vivante de Dieu qui s’est faite chair, cette Parole qui a créé toutes choses, qui les a tirées du néant ; elle est donc capable, cette Parole, de recréer, de ramener à la vie ce qui était mort. Ces mots qui donnent la vie, les voici : « Lazare, viens dehors » ; « déliez-le » ; « laissez-le aller ».

« Lazare, viens dehors »

« Lazare, sors ». La liturgie de ce dimanche nous donne à entendre ce « viens dehors » en écho à la prophétie d’Ezéchiel (1ère lecture) : « Je vais ouvrir vos tombeaux et je vous en ferai remonter ». À l’époque du prophète, cette image de la résurrection n’était encore qu’une figure qui servait à dire symboliquement qu’Israël serait bientôt libéré de sa captivité à Babylone. Et l’exil à Babylone, les Hébreux l’ont interprété sur l’arrière-plan d’une autre captivité et d’une autre libération : celle qui est racontée dans l’Exode, la « sortie » d’Égypte. Si on va en Grèce, on voit souvent (à l’aéroport, sur l’autoroute, etc.) ces panneaux : « Exodos ». C’est-à-dire, tout simplement, « Sortie ». Dieu est intervenu dans l’histoire d’Israël pour faire « sortir » son peuple. Certes, le faire « sortir » d’un lieu – l’Égypte, plus tard Babylone – pour le conduire dans un autre lieu – la Terre promise, Jérusalem. Mais, surtout, le faire « sortir » d’un état et le faire entrer dans un autre : le faire « sortir » de sa servitude, de sa captivité, et le faire entrer dans la liberté des enfants de Dieu. Ou, ce qui revient au même, le faire « sortir » de la mort et le faire entrer de plain-pied dans la Vie divine.

« Déliez-le »

Lazare, en effet, est une figure éloquente de cette servitude et de cet enfermement mortifères. Il sort du tombeau « pieds et mains liés ». Et Jésus demande de le « délier ». C’est exactement le même mot qu’utilise Jésus dans l’évangile de Luc (13, 16) à propos de la guérison d’une femme infirme. Jésus explique qu’il la « délie » du lien par lequel « Satan l’avait liée » près de vingt ans plus tôt. Or, comme dans l’évangile de l’aveugle-né dimanche dernier, Jésus avait accompli cette délivrance le jour du sabbat, ce qui avait choqué le chef de la synagogue. Et Jésus lui avait répondu : « Hypocrite, toi tu délies bien ton âne et ton bœuf pour les mener boire le jour du sabbat… ». Il est frappant de voir combien les hommes, du fait de l’endurcissement de leur cœur, peinent à accueillir le projet que Dieu a pour eux. Du reste, c’est juste après avoir ressuscité Lazare que les grands-prêtres, mis au courant de ce miracle inouï, décident de tuer Jésus. Et Jésus savait qu’en se rendant chez Lazare, dans la banlieue de Jérusalem, il s’engageait sur une voie sans retour. L’apôtre Thomas l’a bien compris : « Allons-y, nous aussi, pour mourir avec lui ! ». En accomplissant ce miracle ultime de son ministère, Jésus provoque une dernière fois, une fois de trop, l’élite recroquevillée de son pays.

« Laissez-le aller »

Mais c’est justement ce chemin que Jésus, librement, va prendre pour nous faire entrer dans la liberté des enfants de Dieu. Comme il le dit à propos de Lazare (« laissez-le aller »), Jésus veut que nous puissions « aller ». Combien de fois ne dit-il pas, aux personnes qu’il rencontre, à celles qu’il relève, à celles qu’il guérit : « Va » ? Très bien, mais pour « aller »  ? Jésus veut-il que Lazare retourne à sa vie d’avant ? à sa routine ? voire à la médiocrité d’une vie terrestre encore marquée par les innombrables défaillances du quotidien ? De toute évidence, la résurrection de Lazare, aussi spectaculaire soit-elle, n’est pas encore la résurrection glorieuse de Jésus. Elle ne fait que l’ébaucher. Comme le dit saint Paul (2e lecture), nous avons beau avoir reçu dans nos cœurs « l’Esprit de celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts », notre corps « reste marqué par la mort en raison du péché ». Nous ne sommes pas encore totalement établis dans cette résurrection glorieuse qui plongera notre personne tout entière dans la vie même de Dieu. Avez-vous remarqué que Jésus ne dit pas à Marthe : « Je suis le Ressuscité », mais « Je suis la Résurrection » ? Autrement dit, « Je suis l’Auteur, le Principe, la Source de la Résurrection et de la Vie ». Bref, « Je suis la cause de toute résurrection, la cause de ta résurrection et de ta vie. Le crois-tu ? »

Voilà donc qu’en touchant au terme de ce Carême – la semaine prochaine, Dimanche des Rameaux, nous lirons la Passion –, Jésus nous invite plus instamment à faire le « plongeon » de la foi. À nous « immerger » – et c’est bien ce que signifie le mot « baptême » – dans sa Pâque et sa Résurrection. C’est ce que nous faisons ce dimanche en nous approchant de l’Eucharistie. Non sans vous prendre tous, frères et sœurs qui ne pouvez participer à la messe à cause du confinement, dans notre prière.

29.03.20

5ème dimanche de Carême – année A