VENDREDI SAINT, frère Sylvain DETOC, OP

Le silence du Verbe

La mort sur la croix, paraît-il, est une mort par asphyxie. Sous le poids de son propre corps, disent les médecins légistes, le condamné s’étouffe. C’est la raison pour laquelle, quand les crucifiés mettaient du temps à mourir, on leur brisait les jambes : afin qu’ils ne puissent plus se redresser et reprendre leur souffle.

Crucifier Jésus, donc, c’est lui couper le souffle. Et, par conséquent, lui couper la parole. La Passion de Jésus, c’est la Passion du Verbe.

Le Verbe s’est fait chair, et le voilà forcé de se taire.

Le Verbe s’est fait chair pour nous dire le Père ; et l’on voudrait que les mots s’étranglent dans sa gorge.

Le Verbe s’est fait chair pour semer partout dans le monde les paroles qui éclairent et qui sauvent. « Moi, dit Jésus à ses juges, j’ai parlé au monde ouvertement […] je n’ai jamais parlé en cachette. »

Eh bien, à présent, qu’il se taise !

Qu’il se taise devant les représentants du pouvoir religieux : « Comment ? C’est ainsi que tu réponds au grand prêtre ! »

Qu’il se taise devant les représentants du pouvoir politique et militaire, et qu’il ne parle que quand on le lui demande : « comment ? Tu refuses de me parler, à moi ? » lui demande Pilate. « Ne sais-tu pas que j’ai le pouvoir de te relâcher, et le pouvoir de te crucifier ? »

Qu’il se taise devant les soldats qui l’injurient, devant la foule qui le calomnie.

Qu’il se taise à jamais.

 

Voilà ce que la mort de Jésus a de vertigineux : la Parole de Vie qui a façonné l’homme, la Parole créatrice qui l’a appelé à l’existence, l’homme voudrait qu’elle se taise.

« Adam, où es-tu ? » Mais tais-toi ! dit l’homme à Dieu. Laisse-moi croire que je me suis fait moi-même et qu’en dehors de moi, il n’y a pas de dieu.

Eh bien, soit. Le Verbe de Dieu se tait. « Il n’ouvre pas la bouche : comme un agneau conduit à l’abattoir, comme une brebis muette devant les tondeurs, il n’ouvre pas la bouche. »

Mais son silence est plus éloquent que toutes les paroles prononcées au cours de sa vie terrestre, plus parlant que toutes ses œuvres. Le Verbe ne réclame pas la parole. Il ouvre son cœur.