Messe du Jour de PÂQUES, frère Sylvain DETOC, OP

Le « R zéro » de la foi

 

L’épidémie de Covid 19 a fait surgir dans les médias un terme technique que peu d’entre nous, sans doute, connaissaient auparavant : le « R zéro ».

Le « R zéro », c’est la formule qu’utilisent les épidémiologistes pour indiquer le taux de reproduction d’un virus. Ou, plus simplement, combien de personnes en moyenne seront infectées par un individu porteur de la maladie. Si chaque malade contamine moins d’une personne en moyenne, le virus s’éteindra de lui-même. Si en revanche il en contamine plus d’une, alors l’épidémie risque de se répandre de façon exponentielle. À cette formule mathématique, est corrélée une autre notion, celle du « patient zéro » : le premier malade recensé, celui par qui l’épidémie a commencé à se répandre.

Vous vous demandez sans doute ce que tout cela vient faire au milieu de la messe de Pâques ! Comme si le flot incessant de mauvaises nouvelles que déversent les médias ne suffisait pas !

Évidemment, le lien entre l’épidémie et la liturgie pascale, aujourd’hui, est difficile à ignorer. Nos églises sont vides depuis bientôt un mois, alors que c’est la période de l’année où elles sont pleines de fidèles enthousiastes. Mais, paradoxalement, la contagion dans le mal fournit aussi une occasion de réfléchir à la contagion dans le bien. Car le mal est souvent l’ombre portée d’un bien. Et le bien, précisément, est contagieux. Très contagieux. Le bien, disaient déjà les philosophes grecs – suivis en cela par les Pères de l’Église –, « est diffusif de soi ». Le bien se communique. L’Évangile, qui est le bien entre tous, la « bonne nouvelle » par excellence, n’échappe pas à cette tendance. Et plus encore, le cœur de l’Évangile, à savoir la bonne nouvelle de la résurrection de Jésus : le Christ est vivant ! La mort est vaincue ! Le mal n’a pas le dernier mot ! Comme le dit la formule d’absolution des péchés que dit le prêtre dans le sacrement de la Réconciliation : « par la mort et la résurrection de son Fils, Dieu a réconcilié le monde avec lui ». C’est fait. Amen ! Alléluia !

« R zéro », donc. Mais dans le bien.

« R » comme « résurrection »

« Zéro », c’est la note que méritaient les apôtres, après avoir abandonné Jésus dans sa Passion – avec, pour Pierre, l’homme au triple reniement, un zéro pointé ! Et pourtant. C’est grâce à lui, grâce à eux, que la bonne nouvelle s’est propagée. Les textes d’aujourd’hui nous permettent d’isoler d’un coup le « patient zéro » – ou, ici, le « témoin zéro » – et le « R zéro » de cette bonne nouvelle, qui, dans la force de l’Esprit Saint, s’est répandue plus puissamment que toutes les épidémies connues à ce jour !

En effet, c’est d’une façon extraordinairement contagieuse que l’Évangile de la Résurrection s’est diffusé depuis le matin de Pâques. Le « témoin zéro », est une femme : Marie de Magdala. Elle l’a annoncé à Pierre et au disciple que Jésus aimait. Ça fait trois. Eux l’ont immédiatement annoncé aux autres apôtres. Et de douze (sans parler des saintes femmes !). Et puis ceux-ci, à leur tour, l’ont annoncé à des dizaines, puis des centaines – Paul, dans les Corinthiens, parle déjà de 500 témoins du Ressuscité – et des milliers. Des millions et même au-delà, enfin, puisque, aujourd’hui, ils sont quelque 2, 5 milliards de chrétiens dans le monde, parmi lesquels 1, 3 milliard de catholiques. Nos églises sont vides à cause de l’épidémie. Mais l’Église, elle, ne cesse de croître à travers le monde ! Des chiffres qui donnent le tournis ! Et on a la tête qui tourne davantage encore quand on se souvient de la manière dont tout a commencé.

C’est à peine croyable ! Mais il suffit d’une toute petite flamme pour déclencher un incendie. N’est-ce pas ce que nous vivons chaque année, d’ailleurs, dans la nuit de Pâques ? À partir d’une seule flamme, celle du cierge pascal, nous en allumons une autre, puis une autre, et ainsi de suite. Et voilà qu’en quelques secondes seulement, ce sont des centaines de flammes transmises de personne à personne qui illuminent habituellement les églises plongées dans le noir !

C’est dur à concevoir, tant le monde moderne nous a habitués à mesurer le succès en termes de communication de masse, pas en termes de communication de personne à personne, comme cela s’est produit dans la primitive Église, et comme cela continue de se produire à chaque fois qu’une personne se laisse toucher par le témoignage, souvent modeste, d’un chrétien ou d’une communauté chrétienne. Pierre, dans les Actes (1ère lecture), le disait : « Dieu nous a chargés d’annoncer et de témoigner ». Pas de convaincre. Juste annoncer et témoigner. Aux uns et aux autres. Humblement. Et Paul (2e lecture) nous a rappelé ce qui fait la force du témoignage chrétien : il prend sa source dans l’incandescence d’un amour qui vient de plus loin, de plus haut : « Vous êtes ressuscités avec le Christ, recherchez les réalités d’en haut. C’est là qu’est le Christ. »

Allons donc puiser un regain de vitalité auprès du Ressuscité. Bref, prions. Prions pour les malades, pour les défunts, pour le personnel soignant. Prions, comme nous l’avons fait ces derniers jours, pour que cesse l’épidémie. Mais prions aussi pour que, malgré les crises de ce monde, s’accroisse le « R zéro » de l’Évangile et que nous puissions devenir, personnellement et en communauté, les « patients zéro » d’une nouvelle vague d’évangélisation.