5e dimanche de Pâques, homélie frère Sylvain DETOC, op

La météo de la foi

Aujourd’hui à Dax, 5e dimanche du Temps pascal, il ne fait pas beau. Après une semaine estivale, c’est le déluge. Ce matin, en ouvrant les volets, nous avions l’impression qu’il faisait nuit, tant le ciel était bouché. Difficile de croire qu’hier, à la même heure, le temps était radieux.

Imaginez quelqu’un qui ne connaîtrait que les nuages ; quelqu’un qui n’aurait jamais vu le ciel dégagé. Difficile à imaginer pour un Dacquois – même pour un Breton ! –, mais bon, faisons un petit effort. Eh bien ! cette personne, il lui serait très difficile de croire que la réalité, c’est qu’il y a un ciel bleu et un soleil resplendissant derrière les nuages. La seule possibilité, ce serait qu’elle fasse confiance à ceux qui ont vu un jour le soleil briller.

Cette image d’actualité – et d’actualité, elle l’est à tous points de vue, car après deux mois de confinement, et de nouvelles révélations accablantes sur un prêtre français autrefois porté aux nues, il n’y a pas que le ciel de la météo qui soit bas – illustre bien le mot clé auquel est suspendue la liturgie de ce dimanche. CROYEZ !

CROYEZ, CROYEZ, CROYEZ ! On devrait le répéter sept fois : c’est le nombre de reprises du verbe « croire » dans l’évangile d’aujourd’hui. Dans les deux autres lectures aussi, il est question de « croire » : « une grande foule de prêtres juifs parvenaient à l’obéissance de la foi », nous dit Luc dans les Actes des Apôtres ; et Pierre, dans le passage de la lettre qui lui est attribuée, s’adresse à nous comme aux « croyants », par opposition à ceux qui « refusent de croire ».

CROYEZ ! Très bien. Mais croyez qui ? croyez quoi ? croyez comment ? « Croyez en Dieu », nous dit Jésus ; « croyez aussi en moi ». À quel sujet ? Au sujet de ce qu’il nous dit, à savoir qu’il y a un ciel, que Dieu nous y prépare une demeure, et qu’au terme de notre route sur la terre, nous l’y rencontrerons. Il s’y connaît, lui, Jésus, parce que ce ciel et ces demeures éternelles, il les a vues ; même, il vient de là. Mais comment croire que ce que Jésus nous dit et nous enseigne, c’est vrai ? Jésus répond : si vous avez du mal à croire à mes paroles, « croyez à cause des œuvres elles-mêmes ». Et l’Église, à travers sa longue existence pourrait ajouter, en écho à ces mots de Jésus : croyez à cause des œuvres de celles et ceux qui ont mis leurs pas dans ceux de Jésus. Croyez à cause des milliers de saints qui ont fait rayonner, à tant de niveaux dans notre histoire, la beauté et la bonté de Dieu !

CROYEZ ! Et pas « voyez ». Sinon, Philippe n’aurait pas besoin de demander à Jésus : « Montre-nous le Père ». Le Père, ici-bas, on ne le voit qu’indirectement, dans le miroir approximatif de la foi ; les plus chanceux, comme les Apôtres, l’ont vu à travers la belle humanité de Jésus, mais pas face à face.

CROYEZ ! Et pas « sachez ». Sinon, Thomas ne prendrait pas la peine de dire : « Seigneur, nous ne savons pas où tu vas. Comment pourrions-nous savoir le chemin ? »

CROYEZ ! Et pas « connaissez », du moins pas « connaissez pleinement ». Le Père se donne certes à connaître en Jésus, et cette connaissance a commencé à faire son chemin dans l’intelligence un peu molle des Apôtres. Mais c’est encore au futur que Jésus leur dit « vous me connaissez,
vous connaîtrez aussi mon Père ».

Cet échange entre Jésus et ses apôtres au moment d’entrer dans sa Pâque est donc plein de tâtonnements. Jésus et ses apôtres ne sont pas sur la même longueur d’onde. La perplexité de ceux-ci répond mal à l’enthousiasme de celui-là. C’est un évangile en demi-teinte. En demi-teinte, parce que le terrain de la foi sur lequel Jésus conduit ses disciples est un terrain baigné dans un clair-obscur : le jour ne s’est pas totalement levé, mais il ne fait pas non pas non plus tout à fait nuit. C’est de clair-obscur de la foi !

Pour dire cela avec d’autres images, l’évangile d’aujourd’hui emploie celle, toute biblique, du chemin : le Père est le but à atteindre ; et lui, Jésus, est le chemin pour y arriver. Or Jésus nous dit aussi : croyez « que je suis dans le Père et que le Père est en moi ». Si donc on suit bien la logique de Jésus, le but à atteindre est dans le chemin, et le chemin est dans le but à atteindre ! Pour le dire autrement, il n’y a pas besoin d’être arrivé au bout du chemin pour atteindre le but : le simple fait de s’avancer sur ce chemin, c’est-à-dire de suivre Jésus, d’écouter Jésus, d’être avec Jésus, c’est déjà être en présence du but !

Et c’est cela qui est inconfortable dans la vie chrétienne. « Déjà là et pas encore », comme on le dit souvent. Le temps pascal exprime particulièrement bien cette difficulté : le Christ est ressuscité, nous sommes sauvés, c’est fait, c’est achevé ! Et pourtant, il reste tant d’inachèvement en nous !

Et puis, on a beau entrevoir les réalités du monde à venir se découper sur l’horizon du jour qui se lève, ce sont plutôt les ombres portées de ces réalités que nous voyons sur le chemin. Pierre (2e lecture) nous dit : « honneur à vous les croyants ! », et le psaume chanté tout à l’heure : « Hommes droits, à vous la louange ! » Mais l’expérience commune, y compris dans l’Église, ce n’est pas celle d’être des champions de la foi et de la justice… « Vous êtes un sacerdoce royal ! », poursuit Pierre. Malheureusement, il arrive que des ministres de l’Église (les évêques, les prêtres et les diacres – ces diacres mis à l’honneur aujourd’hui dans les Actes : nous prions pour eux !) donnent à voir des carricatures, parfois même des contrefaçons du sacerdoce de Jésus. Quant aux baptisés que nous sommes tous, dans l’exercice de notre sacerdoce baptismal, ce n’est pas toujours flamboyant… « Vous êtes une nation sainte, un peuple destiné au salut », enfin. Mais, nous, notre expérience ordinaire, c’est plutôt celle d’une peuple de pécheurs.

Pierre, précisément, ne dit pas que nous sommes un peuple installé de plain-pied dans le salut. Mais un peuple « destiné au salut ». Un peu d’humilité, donc, frères et sœurs ! Du chemin, il nous en reste à faire. L’histoire nous dira peut-être dans quelques siècles ou quelques millénaires, que nous n’en sommes qu’au début de l’aventure chrétienne. Et qui sait ce que nos frères et sœurs à venir, en avançant sur le même chemin de la foi, seront capables de faire, de dire, de penser, pour que leurs contemporains ne trébuchent pas sur le chemin de la vie avec Dieu ?

Aujourd’hui, à Dax, il ne fait pas beau. Mais il ne fait pas nuit non plus. Au-dessus de ce ciel bouché, brille un soleil radieux. Rappelons-nous que « la prière du pauvre traverse les nuées » (Si 35, 21) !