homélie du 23e dimanche du TO, frère Jean Giang

Au-delà des mesures

La réalité des désaccords existe toujours entre nous-mêmes, à l’intérieur du christianisme. Comment pouvons-nous faire face à ce défi et le surmonter ? Jésus attend une unité dans le pardon pour que sa présence soit manifestée. « Quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis là, au milieu d’eux. » Que l’eucharistie maintenant célébrée nous amène sur le chemin de l’unité et du pardon.

Avant d’interpréter ce texte, avant de dire sa signification pour nous aujourd’hui, je voudrais avec vous en premier temps comprendre un peu le contexte de ce passage évangélique.

Ce passage se trouve à l’intérieur de deux autres enseignements : juste avant, c’est l’enseignement sur la brebis perdue et juste après, c’est l’enseignement sur le pardon jusqu’à soixante-dix fois. Dans la logique de cet enseignement, les versets de 15 à 17, abordant une pédagogie pour corriger les fautes de l’autre dans la communauté, sont bien placés au milieu. Si l’on doit donner une idée principale de l’ensemble de cet enseignement, on pourra dire que si dans la communauté, il y a un membre qui a commis une faute et s’égare de l’église comme une brebis perdue, il faut d’abord le chercher, le corriger étape par étape, et s’il retombe encore dans ses fautes, il faudrait toujours être prêt à lui pardonner chaque fois qu’il demande le pardon.

Or, nous voyons que le verset 18 n’entre pas dans cette logique. Ce verset parle d’une certaine manière du pouvoir de gouverner : lier ou délier, permettre ou défendre quoi que ce soit dans la vie commune. Et ce verset se lit avec la deuxième partie du verset 17, qui envisage la dernière mesure de traitement : obliger à éliminer quelqu’un hors de la vie communautaire en le considérant comme païen ou publicain. Que veut dire une telle rédaction du texte ? N’est-ce pas une sanction que l’on envisage ? La question du pouvoir se pose dans l’exercice de gouvernement dans la vie commune. L’idéal d’un pardon sans fin est presque une utopie. Déjà, le contexte dans lequel la communauté de Matthieu comprend le sens du salut est très limité. La mention d’un païen ou d’un publicain montre bien que l’idée de l’évangélisation aux nations n’est pas encore formée. Rester comme païen ou publicain, c’est rester hors du salut. Probablement, au début d’une vie communautaire nourrie par l’enseignement de Jésus, tous aspirent une vie strictement évangélique. Mais, en réalité, des exceptions existent toujours. Dans un autre passage, Matthieu a montré une exception de divorce. Et dans ce passage, l’exception d’un pardon presque sans fin qu’est l’élimination hors de la communauté.

Or, la réalité resterait si dure, et l’idéal de l’invitation évangélique serait si utopique, si nous ne lisions pas ces versets dans l’ensemble avec le verset 19. Ce verset, sans doute, a été rajouté plus tard pendant la rédaction. Il parle d’une décision de se mettre en accord entre les deux ou trois personnes afin que soit manifeste la présence de Jésus et que soit faite la volonté du Père. Cet ajout donne quoi comme sens à ce qui est difficile à tenir en pratique ? Vraiment, si toute la lecture s’oriente vers ce verset, on arrivera à mettre une harmonie entre une demande évangélique au plus haut niveau et une pratique dans la vie quotidienne presque intenable.

Alors, frères et sœurs, le contexte d’autrefois nous concerne encore aujourd’hui, parce que l’exigence de l’évangile est toujours là, si nous voulons encore bien sûr rester comme disciple de Jésus. Comment répondons-nous à cette exigence ? Ce n’est pas le fait de compter le nombre de fois de pardon et d’organiser les trois étapes pédagogiques pour corriger les fautes de l’autre qui compte, car au-delà de cette mesure, que devons-nous faire alors ? Le but humain est bien applaudi : c’est-à-dire en sachant pardonner, ce que nous gagnons n’est pas notre raison, mais nos frères et nos sœurs eux-mêmes. Ce but, on comprend bien, est aussi un défi. On aura beaucoup d’échecs avant de voir le résultat. Sans la foi, je dirais qu’une telle manière de vivre avec l’autre est déjà parfaite. En se mettant cœur à cœur avec l’autre pour le corriger, c’est souhaitable.

Or, la foi nous invite à entrer dans un autre regard plus essentiel. En effet, quand des mesures sont atteintes, au bout de l’échec humain, ce n’est que par la promesse de l’évangile que nous avons une autre raison pour faire autrement ce que nous avons fait sans résultat. Nous tous, nous voulons toucher Jésus. Nous aimerions voir se faire la volonté du Père. Là, c’est notre occasion, notre chance. La capacité de donner une autre raison pour un pardon toujours renouvelable, pour une unité toujours envisageable, malgré des mesures, se tient dans notre liberté de nous mettre devant Dieu et de Lui dire : que ton pardon m’aide à pardonner aux autres et que je voie le visage de notre Jésus sur le visage de l’autre avec qui qui je ne mets pas fin à une recherche pour nous comprendre mieux

 

Dimanche 6 septembre 2020

23e du Temps Ordinaire

Frère Jean GIANG

Ez 33,7-9 ; Rm 13,8-10 ; Mt 18,15-20