homélie pour le Jeudi Saint, frère François-Régis DELCOURT, OP

 

 

Lors de son dernier repas avec ses apôtres, Jésus a institué l’eucharistie. Juste après, Jésus se rend au jardin des oliviers. À l’écart des regards, sa prière prolonge la Cène et concrétise la volonté de Jésus d’être le serviteur et médiateur entre la terre et le ciel. Ce moment, en ce lieu, assure la transition avec sa passion jusqu’à sa mort. Jésus s’apprête à vivre le moment le plus bouleversant de son existence. Dans un dernier tête à tête, son Père et Jésus se retrouvent. Dieu connaît son Fils. Il sait de quoi il est capable. Il mesure l’affection qu’ils s’éprouvent mutuellement. Il ne mésestime pas le courage de son Fils. Mais voilà, Dieu lui suggère un dernier acte à poser dans sa vocation et mission de messie et de Christ. Si Jésus n’accepte pas, son Père aura tout créé et gouverné pour rien. Il ne s’agit pas de négocier mais simplement de proposer afin que Jésus dispose. Le père appelle son Fils à poser un dernier acte : vivre la passion et mourir, concrétiser ce qu’il vient de réaliser lors de ce dernier repas : livrer son corps et verser son sang.

La réaction de Jésus ne se fait pas attendre. Et elle se voit, Jésus sue des larmes de sang. Elle se fait entendre, Jésus crie : non pas ma volonté, Seigneur, mais la tienne. Mais que se passe-t-il en Jésus ? Qu’a-t-il véritablement vécu lors de ce moment d’intimité avec son Père ? Aurait-il hésité entre son désir et le désir de son Père ? Sa conscience tergiverse dans tous les sens en vue de prendre une décision capitale qui peut changer le sens de l’histoire de toute l’humanité et de la divinité. Ce qui se joue là est grave et profond. Au mont des oliviers, au plus intime de sa conscience, lors d’un instant, a-t-il fait l’expérience de l’éventualité d’être séparé de son Père et de l’Esprit-Saint, d’être écarté de cette communion divine et d’en écarter tous les enfants de Dieu, nous ses créatures tant aimés ? Et cette possibilité a-t-elle suscité en lui une si grande souffrance qu’il l’a exprimé en suant des gouttes de sang. Ainsi, autant son corps, que son cœur, que son esprit se sont unanimement révoltés. Regardez dans quel état émotionnel, cette simple idée a pu le mettre. Mais non, pas ma volonté mais la tienne, Seigneur. Évidemment, que je me détermine librement et consciemment à te dire oui. Je ne peux qu’accepter cette dernière mission même si je prends conscience de sa dureté, de sa violence, de tout ce qui va m’être infligé. Mais je préfère mourir que de me voir séparer de toi et de mes frères, tes enfants.

Jésus, nous ne pouvons qu’être fascinés par cette volonté que tu accueilles favorablement. À vrai dire, nous sommes bien incapables de prendre une telle décision et d’être aussi librement déterminé. Mais que pouvons-nous faire ? Te dire toute notre admiration et notre reconnaissance devant ce que tu nous offres : ton corps livré, ton sang versé. Que désires-tu de nous en retour : offrir des sacrifices et holocaustes ? Tentez d’être parfait comme toi Tu es. Nous en sommes bien incapables et Tu le sais. Seul, Toi a le pouvoir de dire oui à la volonté de ton Père. Ce que tu souhaites de nous est finalement simple : que nous venions à Toi avec un cœur brisé et broyé.  Mais qu’est-ce à dire, sinon de nous approcher de Toi avec humilité et simplicité, et t’offrir en transparence notre authenticité marquée par nos vulnérabilités. Notre promesse se résume ainsi : Te choisir car nous prenons conscience de ton amour pour nous, rester à notre place de frère et de fils adoptif de Dieu. Plus encore, nous te choisissons comme confident, comme pilier, comme notre roc. Avec Toi, je réalise que je suis et que ta précieuse aide me donne de devenir ce que je devrais être. Tu es pour nous un bâton sur qui nous pouvons infailliblement compter car tu sais que même si je ne suis pas parfait, je ne le suis pas par malice en voulant faire le mal et en ayant conscience de faire le mal. Mais parce que je suis moi et que je ne suis pas Toi. Merci, Jésus d’avoir accepté la volonté de Dieu pour rétablir ce lien qui nous unissait Toi et moi, Vous et nous.

Jeudi 14 avril 2022

Jeudi Saint

Frère François-Régis DELCOURT

Ex. 12, 1-8 ; 1 Co. 11, 23-26 ; Jn. 13, 1-15