Fête de la TOUSSAINT, homélie frère Bruno CADORE, OP

Frères et sœurs sans doute vous connaissez dans votre entourage, parmi vos proches, dans vos familles, de ces vieux couples mais peut être des couples moins vieux qui finissent par se ressembler.  À force de s’entrainer mutuellement à aimer, à accueillir, regarder le monde, à apprendre, à construire, à éduquer ; ils finissent par avoir le même regard, le même sourire et quelques fois même, on dit qu’ils se ressemblent vraiment comme physiquement. Ils se sont en quelque sorte transformés mutuellement, ils se sont au fond transfigurés mutuellement ou plutôt leur amour mutuel les a transfigurés. Vous connaissez sans doute cette histoire d’Alphonse Daudet : « Les vieux » ; ces vieux qui toute leur vie ont passé leur temps à s’ajuster l’un à l’autre, à s’adopter profondément, à s’aimer. On connait l’histoire de sainteté : c’est de cela qu’il s’agit d’un appel à ce que chacun de nous se fasse familier de Dieu à un point tel que se réalise ce que nous avons entendu dans l’Ecriture à savoir que nous devenions semblables et que cette perfection de Dieu vienne comme habiter la faiblesse de notre chair mais aussi sa grandeur ; que cette présence soit la grâce de notre faiblesse, de notre force. Dans les textes de l’Ecriture qui nous sont proposés aujourd’hui, il y a trois expressions qui peuvent nous aider à adopter ainsi cette ressemblance, à accepter de devenir ce que nous sommes appelés à devenir : serviteur de Dieu disait l’Apocalypse, enfant de Dieu (2e lecture) , heureux en Dieu nous dit l’Evangile.

Enfant de Dieu d’abord : enfant de Dieu nous le sommes nous dit saint Paul mais en même temps nous devons le devenir. Tous ceux qui ont enfanté, tous ceux qui ont des enfants savent qu’il ne s’agit pas seulement d’enfanter, il ne s’agit même pas seulement d’éduquer, il faut encore que les uns et les autres, enfants et parents, s’adoptent mutuellement. Pour nous du côté de Dieu, il nous a adoptés depuis longtemps, depuis toujours. Reste pour nous à l’adopter, Lui Dieu. A adopter celui qui est notre Père, à adopter cette puissance de grâce que nous avons reçue au jour de notre baptême ; cette puissance qui fait que notre vie est habitée par Lui ; elle est pétrie par sa présence ; elle est illuminée, transformée, transfigurée ; elle n’est pas transformée par autre chose ; elle est pleinement ce que nous sommes, notre vie.  Adopter Dieu en notre vie c’est bien souvent nous adopter nous-même, c’est bien souvent apprendre à nous aimer comme Dieu nous aime et Dieu n’est pas naïf. Il nous connait bien. Il sait très bien qui il aime ; ses forces et ses faiblesses, ses doutes et ses convictions, sa foi et ses hésitations, sa capacité à faire le bien et sa capacité aussi à être tenté de faire un peu moins bien. Adopter Dieu c’est aussi nous adopter nous-même ; en cela que nous-même adoptés par Dieu, nous sommes transformés par son amour, pour nous, tels que nous sommes. La grâce – dit le pape François dans son exhortation sur la sainteté – sera la force de ta faiblesse. Enfant de Dieu nous le sommes mais nous le devenons comme tous les enfants ; nous le devenons au fur et à mesure où nous adoptons notre Père ; nous le devenons au fur et à mesure que nous nous découvrons pétris de l’intérieur, sur nos routes, pas à côté, pas ailleurs, sur nos routes, dans nos familles, dans nos échecs, dans nos réussites, dans nos joies, dans nos larmes, adoptés par notre Père et adoptés en une telle proximité qu’elle finit par déteindre sur nous et nous rend semblable à Lui. Enfants de Dieu, nous le sommes et nous le devenons.

Sur cette route, Dieu fait confiance à l’homme pour être serviteur de Dieu. D’où viennent-ils toute cette multitude? Ils viennent de la grande épreuve. Autrement dit, ils viennent de se plonger dans la geste de Passion du Christ pour le monde.

L’Agneau a été envoyé pour réconcilier le monde. Ils viennent de cette route où ils ont tant erré, de le regarder faire, de l’écouter parler, de l’aimer. Serviteur de Dieu, ça n’est pas être le serviteur de Dieu qui fait exactement ce que Dieu lui a demandé du premier jusqu’au dernier mot, c’est serviteur de la présence de Dieu dans ce monde, serviteur convaincu  que Dieu passe dans ce monde ; passe comme Pâques ; et dans ce monde, Dieu affronte le mal et l’absurde, et l’échec et les difficultés ; que dans ce monde jamais le Seigneur n’accepte de se résigner à ce que le mal, la mort, l’échec, la faute soient les derniers mots de notre histoire. Être serviteur de Dieu c’est être serviteur de cette présence qui nous dit que l’histoire que nous vivons, ces routes sur lesquelles nous sommes appelés à devenir saints en Dieu, cette histoire à du prix à ses yeux. Devenir saint c’est devenir saint avec tous, les croyants et les non croyants, ce que nous aimons et ce nous n’aimons pas, ce nous voulons connaitre et ce que nous ne préférerions pas connaitre. Être serviteur de la présence de Dieu pour chacun, pour tous, par la puissance de sa vie et pour tous à commencer par nous. Enfants de Dieu, serviteur de Dieu et heureux en Dieu.

Heureux en Dieu parce que la puissance de sa vie est en nous. Il y aurait bien des manières de décliner toutes ces béatitudes et se demander un par un : est-ce-que je suis vraiment pauvre de cœur, humble et pur et doux, miséricordieux et de répondre soit avec orgueil : bien entendu je le suis ! Soit avec une pauvre humilité qui quelque fois confine à l’orgueil : non je suis moins que rien ! Mais non ! je ne suis ni « tout » ni moins que rien ! Je suis seulement ce que je suis ! Capable de vivre et de laisser vivre en moi cette aspiration que j’ai au bien, à la douceur, à la pureté.

Ce texte des Béatitudes est un texte qui est accueilli universellement, comme sonnant juste, disant vrai. Tout homme découvre en lui, qu’il a en lui, au fond de lui, caché quelquefois bien enfoui, quelquefois fulgurant, une sorte de puissance de s’ajuster au vrai, de s’ajuster vraiment, au bien et il aspire à ce que ceci puisse se réaliser. Il aspire à vivre, VIVRE.

Avec les Béatitudes O% nous disons : heureux les purs, heureux les doux ; nous pourrions encore les décliner autrement ? en disant : vivants les pauvres de cœur ! Vivant les doux ! Vivants les miséricordieux ! Vivants les cœurs purs ! Oui vivants de Dieu ; car par ceux-ci sont réellement pauvres, doux, humbles, miséricordieux, assoiffés de justice, persécutés. Nous le savons bien, c’est Lui le Fils et c’est à l’image de ce Fils là nous le voudrions être transfiguré, vivants pour Dieu. C’est ce que nous disons au matin de Pâques.

Dieu nous fasse la grâce d’accepter de recevoir cette promesse, de la vivre, d’y croire, d’y être disponible, d’en être heureux

 

TOUSSAINT 2019

FRERE BRUNO CADORE