Homélie du 30e dimanche du TO, Frère Timothée LAGABRIELLE, OP

Dimanche 28 octobre 2018

Dignité, responsabilité, divinité

Cette page d’évangile m’évoque trois petites choses que je soumets à votre méditation… Trois choses à méditer, ou plutôt une méditation en trois étapes qu’on pourrait énoncer ainsi : Dignité, responsabilité et divinité.

 

Dignité : Qu’elle est grande la dignité de l’homme ! Tellement grande que Dieu vient lui demander ce qu’il veut que Dieu fasse pour lui. La semaine dernière déjà, dans le passage d’évangile qui précède immédiatement celui que nous venons d’entendre, Jésus demandait à Jacques et à Jean : « Que voulez-vous que je fasse pour vous ? », comme il demande aujourd’hui à Bartimée : « Que veux-tu que je fasse pour toi ? »

Si quelqu’un a un doute sur la haute estime que Dieu a pour l’homme, qu’il relise ces deux textes et s’arrête à cette question…

On y voit bien que le but de la vie chrétienne, et le but de la vie tout court, n’est pas seulement de savoir ce que je dois faire pour Dieu, mais qu’il y a aussi la question : « Qu’est-ce que Dieu peut faire pour moi ? ». Quand Jésus dit qu’il est venu pour servir, ce n’est pas une façon de parler, mais c’est la réalité. C’est vrai, il est venu pour se mettre à notre service. S. Paul va jusqu’à dire qu’il a pris la condition d’esclave.

Et il ne veut pas seulement nous servir, nous faire du bien ; il veut aussi le faire en répondant à notre désir et nous le voyons ainsi, un peu comme Nestor à Moulinsart, nous demander « Que puis-je faire pour monsieur ? ». Notre dignité est telle que Dieu va jusqu’à ne pas agir contre notre désir.

Cela nous ouvre à notre deuxième point, notre deuxième étape de méditation : cette dignité que Dieu nous reconnaît est aussi une grande responsabilité.

Si Dieu veut être à notre service, il ne va pas être l’esclave de tous nos caprices, il ne va pas exaucer tous nos désirs. On raconte ainsi l’histoire – la connaissez-vous mes sœurs ? – de frères Dominicains qui avaient récolté des intentions de prière pendant un apostolat d’été et qui les portent à des moniales pour les leur confier. Et les sœurs y trouvent dedans : « Seigneur, fais que j’ai un téléphone portable. » Sans doute que Dieu, comme nous, a alors envie de dire : « C’est un peu court, jeune homme… ».

Dieu veut répondre à nos désirs bons. C’est pour cela que, parfois au moins, il ne nous exauce pas. C’est pour cela aussi qu’il peut arriver que nous recevions trop peu, parce que nous demandons trop peu.

Prenons donc Bartimée comme exemple : Bartimée ose demander beaucoup, il ose demander une chose folle, il ose demander un miracle dont il a besoin. Il ne demande pas seulement à Jésus ce qu’il demande aux autres personnes, pas seulement « La charité, mon bon monsieur, une petite pièce pour un aveugle », mais de retrouver la vue.

Bien sûr, Dieu ne va pas abandonner complètement celui qui ne peut pas le connaître ni le prier comme il faut. Et il travaille notre cœur afin de nous faire désirer et demander ce qu’il veut nous donner, justement pour qu’il nous le donne à notre appel. Bien sûr, cela est vrai, mais il nous prend aussi au sérieux jusqu’au point d’être prêt à retenir un don tant que nous ne sommes pas prêts à le recevoir.

Peut-être parce qu’il y a comme un risque qu’un don reçu sans qu’on le demande ne soit pas identifié comme venant de Dieu, qu’on ne perçoive pas son origine divine et qu’il ne porte pas tout son fruit en ne nous entrainant pas dans l’action de grâce…

Mais alors, et c’est notre troisième étape de méditation : que demander à Dieu ? Quand, comme à Bartimée ou à Jacques et Jean, Dieu nous demande ce que nous voulons qu’il fasse pour nous, que lui répondre ? C’est une question assez difficile, elle est – par exemple – plus difficile que celle que le génie pose à Aladin car il n’y a ici qu’un seul vœu possible au lieu de trois !

Ici, d’ailleurs, Bartimée n’est peut-être pas le meilleur exemple. Il a visé sans doute un peu trop bas. Mais qu’est-ce qui pourrait être plus ambitieux que de demander à retrouver la vue ? Tout simplement de demander la divinité.

C’est la réponse qu’a donnée S. Thomas d’Aquin quand il a eu une apparition à la fin de sa vie. Au Seigneur qui lui demande : « Tu as bien écris de moi, que veux-tu en retour ? », il répond : « Rien d’autre que toi, Seigneur ! ». Ce que Dieu veut vraiment nous donner, c’est lui-même et cela est bien plus que de retrouver la vue.

Jésus nous dit d’ailleurs la même chose que S. Thomas d’Aquin quand il nous explique que le Père veut nous donner l’Esprit Saint si on le lui demande[1].

La chose à demander dans la prière, c’est donc la divinité. Recevoir Dieu lui-même. Recevoir l’Esprit Saint pour qu’il imprime en nous la ressemblance avec le Christ et que nous soyons unis au Père. C’est ce don qui englobe tous les autres, donne sens à tous les autres.

Jr. 31, 7-9 ; Hb. 5, 1-6 ; Mc. 10, 46b-52

 

[1] Lc 11, 11-13.