Homélie « Jeudi Saint » La Cène du Seigneur, frère Vincent TIERNY, OP

Jésus aimait être à table avec ses amis. Durant sa vie terrestre, il a toujours vécu avec la chaleur de son humanité, la joyeuse expérience de communion et de paix que l’on goûte lorsque l’on partage la même nourriture avec ceux qui sont chers à notre cœur et sont liés à nous par une sincère affection

Ce soir, nous rappelons l’un de ces repas : la Cène du Seigneur.

Faites cela en mémoire de Moi. Comme souvenir de Lui, Jésus nous a laissé un banquet ; un banquet humble et sublime, pauvre et précieux, comme sont toujours les choses de Dieu.

Un banquet durant lequel il prend dans Ses mains saintes et vénérables un peu de notre pain et un peu de notre vin, et nous les rend changés en Son cadeau le plus grand : Sa présence vive, vraie, réelle au milieu de nous.

Faites cela en mémoire de Moi. Obéissants à ce commandement du Seigneur, nous sommes encore une fois réunis au banquet pour partager  cette nourriture mystérieuse qu’Il dispose pour nous, comme toujours dans l’Eglise depuis la dernière Cène.

Au moins en cela sommes-nous restés fidèles : Après plus de 2000 ans, nous persévérons à faire mémoire ainsi, comme Il nous l’a dit : avec le pain, avec le vin qu’Il continue à transformer par Sa Parole toute puissante.

La nuit où Il était livré. L’Eucharistie est donnée aux hommes alors que déjà se prépare la trahison. Une trahison d’intensité et de nature variable. Une trahison qui est aussi la nôtre et pour laquelle ce soir, nous sentons l’envie de pleurer.

Il y a la trahison vile et hypocrite comme celle de Judas, qui cache sa perfidie derrière les signes de l’amour.

Il y a celle due à la lâcheté et la faiblesse, celle des Apôtres qui ont fui et abandonné Jésus dès l’apparition des soldats. Ils étaient tous bons et bien intentionnés, mais ils n’étaient pas prêts à résister, à combattre, ils n’avaient pas envie de s’opposer au mal. Ils étaient plutôt enclins à chercher des accommodations, à fuir les conflits, à vivre en paix avec tous. Et quand la fidélité au Christ réclame la lutte, ils n’en sont pas capables.

Il y a aussi la trahison qui naît seulement de la paresse et de la somnolence, comme celle des trois disciples aimés, qui ne surent pas veiller une petite heure avec leur Maître, écrasé de douleur.

Et il y a celle qui provient d’un cœur généreux et ardent, mais peu prudent et trop impétueux, comme celui du chef des Apôtres, Simon, qui avant le second chant du coq, cette nuit-là, aura déjà renié trois fois son Seigneur.

Si nous sommes incères avec nous-mêmes (et comment ne pas l’être ce soir ?), nous devons dire que nous pouvons nous retrouver dans ces trahisons. Tous, nous devons solliciter la miséricorde divine qui, heureusement, nous est déjà assurée.

Nous demandons à notre Sauveur de poser Ses yeux sur nous, ce regard qui a su dégeler le cœur de Pierre en cette nuit de la trahison et en a fait couler les larmes du repentir et de la conversion.

Mais, plus que par la pensée, pourtant salutaire de nos fautes, nous devons ce soir nous laisser prendre par la bonté du Seigneur ; plus par notre ingratitude, il importe de nous rappeler Son don.

C’est un don si grand, l’Eucharistie, qui dépasse tellement notre capacité d’entendement, que nous sommes souvent tentés de le négliger.

Et nous passons à côté sans prendre conscience de sa valeur, comme un enfant jouant avec le collier de perles de sa maman.

Aujourd’hui pourtant, nous devons nous secouer et demander la grâce non seulement d’une foi plus robuste, mais aussi d’une intelligence de la foi plus vive, qui nous fasse saisir l’Eucharistie comme le cœur même de la vie chrétienne.

Jésus nous dit que toute la vie chrétienne réside dans l’observance d’un commandement simple et immense :Tu aimeras ton Dieu de toute ta force…, tu aimeras le prochain par amour de Dieu.

Ce qui revient à dire : casse le mur glacé de l’indifférence et unis-toi au Dieu qui t’a créé et qui sera ta joie pour toujours ;

romps les liens de la rancœur et de l’antipathie, de l’orgueil blessé qui ne sait pas oublier, et tiens-toi dans une réelle unité avec tes frères, parce que seulement si tu n’es qu’un avec les autres, Dieu pourra te reconnaître comme son fils.

L’évangéliste Jean nous rapporte la prière de Jésus au moment de l’institution du sacrement de l’Eucharistie : Père, je te prie pour ceux qui croiront en Moi. Que tous soient un, comme Toi, Père, Tu es en Moi et Moi en Toi. Qu’ils soient un en Nous, eux aussi, pour que le monde croie que Tu m’as envoyé.

Et justement parce qu’Il savait combien il nous est difficile de rester unis à Dieu et à nos frères dans l’amour, Jésus nous a donné, quasi comme un testament, le sacrement de l’amour.

En Lui, nous devenons un seul corps avec Jésus, Fils de Dieu, et en Lui nous nous unissons étroitement au Père qui, ainsi, nous embrasse avec le même amour qu’Il porte à son Fils Unique.

En Lui, nous devenons un seul corps avec tous ceux qui partagent la même foi, participent au même banquet, et ainsi naît l’Eglise, qui est la famille fraternelle des rachetés.

En cette nuit, nous prions pour que, dans l’Eucharistie, l’Eglise atteigne chaque jour un peu plus la plénitude de la charité et de la vie et attire à elle tous les hommes de bonne volonté qui aspirent à une vie plus grande, plus vraie, la vraie vie : celle de Dieu.

Ex. 12, 1-8. 11-14 ; 1 Co 11, 23-26 ; Jn. 13, 1-15