7E dimanche de Pâques, homélie du frère Sylvain DETOC

La gloire de Jésus ?

C’est l’un des plus vieux malentendus sur la Résurrection et l’Ascension de Jésus. Depuis le début du christianisme, certains pensent que la « gloire » qui a été donnée à Jésus au terme de sa vie terrestre, c’est un peu comme une récompense qu’un champion aurait reçue de quelqu’un d’autre. Un trophée que Jésus aurait mérité, parce qu’il aurait été quelqu’un d’une bonté exceptionnelle. Tellement exceptionnelle, que Dieu aurait fait pour lui une exception en le ressuscitant d’entre les morts et en le faisant siéger à sa droite… dans la « gloire ».

Mais l’évangile d’aujourd’hui nous révèle que sa « gloire », Jésus n’a pas attendu d’entrer dans sa Pâque pour qu’elle lui revienne. Cette « gloire », dit Jésus, c’est « la gloire que j’avais auprès de toi, Père, avant que le monde existe ».

Une « gloire », donc, éternelle. Une « gloire » qui n’a jamais commencé d’exister et qui ne cessera jamais d’exister, parce que c’est la « gloire » même de Dieu. Une « gloire » qui appartient de toute éternité au Fils comme elle appartient au Père : « Tout ce qui est à moi est à toi, et ce qui est à toi est à moi », dit Jésus. La gloire du Père, c’est la gloire du Fils et vice versa. Et c’est dans cette gloire qui est sienne de toute éternité que Jésus est entré.

C’est également ce que les autres évangélistes nous font comprendre. Quand Jésus ressuscité rencontre les disciples d’Emmaüs, il leur explique qu’il fallait que le Christ souffrît « pour entrer dans sa gloire » (Lc 24, 26). Pas la gloire de quelqu’un d’autre, pas une gloire qui lui aurait été donnée après coup, de façon tout extérieure. Mais « sa » gloire, celle dont lui, le Fils de Dieu, resplendit de toute éternité dans le sein du Père. Sans doute est-ce aussi dans ce sens qu’il faut comprendre la manière dont Jésus annonce son retour glorieux chez Matthieu, quand il dit : « le Fils de l’homme viendra dans sa gloire » (Mt 25, 31). Une gloire éternelle, la sienne, qui précède son humanité, parce qu’il est le Fils éternel du Père en amont de l’Incarnation et de la Création, mais dont son humanité est transfigurée au terme de sa vie terrestre.

Autrement dit, ce que nous avons contemplé la semaine dernière dans le mystère de l’Ascension, c’est Jésus qui entre « dans sa gloire », pas dans la gloire d’autrui, mais dans cette gloire éternelle de la Sainte Trinité qui précède et transcende notre monde.

Cette entrée de Jésus dans « sa » gloire nous invite donc à lever les yeux au-dessus de l’horizon de notre vie terrestre et à plonger notre regard dans la « vie éternelle » de Dieu. La « vie éternelle », soyons francs, nous fait un peu peur. Nous ne sommes pas vraiment adaptés à la « vie éternelle ». Pour nous, la vie « éternelle », c’est surtout une vie qui ne finit pas. Et, comme le dit cette célèbre boutade, « l’éternité c’est long, surtout vers la fin… » Une vie qui ne finit pas, ça donne le vertige. Mais ce vertige nous prend davantage encore quand nous réalisons, à l’occasion de ces paroles de Jésus sur cet « avant que le monde existe », que la vie éternelle ne commence pas. Elle n’a pas de fin ; elle n’a pas de début non plus !

Notre intelligence conçoit aisément le temps, mais l’en amont et l’au-delà du temps, c’est une autre affaire. Si notre attention se focalisait uniquement sur l’absence de ces deux bornes temporelles (ni début ni fin), effectivement, savoir qu’on est appelé à entrer dans la vie éternelle, ce serait assez déstabilisant. Mais voilà que Jésus nous donne une autre clé. La vie éternelle, ce n’est pas une durée. C’est un acte. C’est une activité. Et une activité intense, débordante. En quoi consiste cette activité ? Jésus nous le dit : « la vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent toi, le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus Christ ». La vie éternelle, c’est connaître Dieu, c’est connaître Jésus. Pas d’une connaissance théorique, professorale, mais d’une connaissance intime, amoureuse, expérimentale. Les biblistes le savent bien, le verbe « connaître » dans l’Écriture Sainte inclut aussi l’acte d’« aimer ». Connaître, dans la Bible, c’est « être uni » à celui qu’on connaît et qui nous connaît. C’est ne faire plus qu’un avec lui.

Autrement dit, en Dieu, il y a une activité de connaissance et d’amour qui n’a pas de commencement et qui n’a pas de fin. De toute éternité, le Père connaît le Fils ; le Fils connaît le Père (cf. Mt 11, 27). De toute éternité, « le Père aime le Fils » (Jn 3, 35) et le Fils aime le Père (cf. Jn 14, 31). Avant que le monde existe, il y a en Dieu cette vie relationnelle de connaissance et d’amour. Bref, la vie éternelle, ce n’est pas quelque chose d’inerte, mais de dynamique, disions-nous ; mieux encore, ce n’est pas quelque chose, c’est quelqu’un. C’est Dieu lui-même ! C’est lui qui est « la Vie » ! C’est lui qui est « l’Éternel » ! Et plus exactement encore, cette Personne en Dieu, cette Personne qui est la communion éternelle du Père et du Fils, c’est l’Esprit Saint.

L’Esprit de Dieu, dans la deuxième lecture, Pierre l’appelle « l’Esprit de gloire ». Et dans l’office des lectures d’aujourd’hui, nous voyons que les Pères de l’Église, comme saint Grégoire de Nysse au IVe siècle, identifient la « gloire » de Dieu à l’Esprit Saint. Comme si cette « gloire » était un autre nom de l’Esprit Saint. Eh bien ! cette « gloire » qui est celle du Père et du Fils de toute éternité, Jésus l’a répandue sur ses disciples : « l’Esprit de gloire repose sur vous ».

Et que se passe-t-il quand l’Esprit de Dieu repose sur la communauté humaine ? La première lecture nous en donne en aperçu : ceux qui s’ouvrent à lui, malgré toutes sortes de différences qui pourraient être autant d’occasions de désaccord, ne forment plus qu’un seul et « même cœur ». Tous sont unis dans la prière. Et c’est bien normal, puisque l’Esprit Saint est la communion en Personne ! En venant en nous, celui qui est la communion éternelle du Père et du Fils nous unit au Père et au Fils, et il nous unit les uns aux autres. Si nos communautés chrétiennes n’étaient fondées que sur des affinités sociales, politiques, culturelles, idéologiques, etc., bref sur des accointances humaines – trop humaines –, cela ferait longtemps que nous ne vivrions plus ensemble ! Celui qui fait l’Église, c’est l’Esprit. Notre communion dans l’Église est un don de l’Esprit.

À l’Ascension, en somme, Jésus est entré dans « sa » gloire. Mais cette gloire éternelle en laquelle sont unis le Père et le Fils, il la répand à présent sur nous. En ces jours qui nous conduisent à la Pentecôte, et alors que nos églises ouvrent à nouveau leurs portes après le confinement, demandons au Seigneur de ressaisir nos cœurs et nos communautés dans la communion de l’Esprit.