homélie pour les obsèques de soeur Marie-Dominique, par le frère Bruno CADORE, op

Elle est venue donc, l’heure. Elle est venue ce printemps…

Mes sœurs, vous avez mis cette célébration de la Pâque de Marie-Dominique sous le signe de son grand désir : « Vous comprenez que je suis pressée, disait-elle. Il vient le Bien-Aimé. Ne ralentissons pas sa course. »

Un désir ardent qui a porté, animé toute sa vie, tant dans l’activité de la jeune moniale fondatrice, de la moniale accueillante, de la moniale faisant le choix d’aller -même un temps-, partager la vie avec d’autres personnes âgées dans un EHPAD, ou de la moniale allant rejoindre ses sœurs à Dax, qui prenaient soin d’elle et dont nous savons bien dans son intention à elle, que Sr Marie Dominique prenait soin aussi d’elles.

Désir ardent d’une grande proximité, de la grande proximité de Celui qui vient. Ce désir qui, sans doute, rayonnait dans ses grands yeux bleus réconfortait, consolait celles et ceux qui venaient puiser auprès d’elle, joie, joie de la rencontre, force, dans les difficultés, espérance et amour.

Marcher, marcher parce que Lui, Jésus vient marcher tout près d’eux.

Sentiment aussi peut-être que notre sœur a pu avoir d’un désir qui s’avive au fur et à mesure où les feuilles se détachent et où apparaît le cœur, et quand le cœur apparaît il devient plus à vif, il désire plus d’amour encore, il veut plus de proximité. Bref, il est impatient, impatient de la rencontre.

‘Elle est venue l’heure’, mais vous l’avez bien compris, cette impatience de sr Marie-Dominique n’était pas une impatience de curiosité, mais plutôt une impatience de proximité, d’intimité. Impatience de voir enfin celui dont elle avait témoigné, dont elle avait parlé, celui dont on lui avait parlé, celui dont l’Écriture ne cessait de dire et répéter les paroles. Celui qui ne cesse depuis le temps de l’Évangile, mais quand vous voulez me voir, qui donc voulez-vous voir ? Un Prophète ? un thaumaturge ? un sage ? un homme exceptionnel ? Un homme en danger ? …. Qui donc voulez-vous voir ? et sr Marie-Dominique aurait sans doute répondu et a sûrement répondu au long de sa vie : oh, c’est plus simple que tout cela… Un ami. Un ami. Un proche qui nous connaît qui nous connaît mieux que tous et mieux que moi, un tout proche qui me fait découvrir, par ce qu’il est, comment je peux l’aimer ? et combien dans une vie humaine, on peut aimer comme lui.

Un proche, tout proche qui aime au point que, dans sa proximité, il prend avec lui dans sa vie, la vie de celles et ceux qui se confient à lui, au point que la vie de celles et ceux qui viennent à lui, il l’incorpore dans sa propre vie, au point qu’il porte la vie de celles et ceux qui l’aiment dans sa propre vie. C’est cela un ami.  Et c’est pour cela que cet ami nous fait grandir dans notre capacité, à notre tour, d’aimer.

C’est comme cela, frères et sœurs, que je comprends cette image du grain de blé. Oh ! certes, le grain de blé va tomber en terre, certes nous pouvons dire qu’il meurt, mais en même temps nous devons dire qu’il se nourrit de la terre dans laquelle il est semé. Le grain devient fécond de l’attachement, de l’amour, de la nourriture qu’il va puiser dans la terre dans laquelle il est semé. Et tel est je crois, le secret, le mystère de l’amour que Paul chante dans l’Épitre aux Corinthiens.

Qu’êtes-vous venus voir ? Oui. Répondons avec notre sœur : Un ami, le plus grand des amis, le plus discret aussi. Celui qui nous fait découvrir que la vie avec lui n’est pas une vie extraordinaire, n’est pas une vie d’ailleurs, mais une vie humaine, c’est une petite bonne femme qui aimait, c’est la petite sœur Marie-Dominique qui accueillait et réconfortait, qui écoutait, qui pleurait quand on pleurait, ou qui se réjouissait quand on pouvait se réjouir. Une femme pleinement humaine, vivant jusqu’au bout son humanité, et à cause de cela, et en cela, vivant de la mélodie de la vie.

Je  ne suis pas étonné, à dire vrai, qu’à la fin de sa vie, dans les derniers mois, sr Marie Dominique ait voulu écouter de la musique comme si, il lui fallait éprouver dans son corps, éprouver au plus profond de sa vie, l’écho d’une mélodie qu’elle cherchait et qu’elle cherchait encore, cette mélodie qui crée, qui nous tient dans la vie qui nous fait en quelque sorte  devenir aussi capable que nous sommes d’aimer, au point qu’à notre désir c’est de nourrir de cet amour-là, partagé, aller jusqu’au bout et même de nous nourrir du mystère de ce petit grain de blé dont parle Jésus, découvrant  alors que l’amour dont nous sommes capables est habité mystérieusement par l’amour dont Jésus est capable. L’amour dont nous grandissons devient progressivement l’amour même dont Jésus veut nous faire grandir. L’amour que nous désirons voir en pleine lumière est cet amour qui affronte l’épreuve. Cet amour qui se tait quand il faut se taire, cet amour qui écoute quand il convient d’écouter, cet amour qui nous dit rien, pas de parole, pour que, simplement dans le langage du cœur, alors les uns les autres, nous apprenions l’alphabet et la grammaire et le chant de l’amour de Dieu qui fait toutes choses, qui porte toutes choses, qui nous fait devenir vraiment qui nous sommes pour nos sœurs, pour nos frères…  et un jour, le jour,  quand l’heure est venue pour lui, en lui, avec lui. C’est dans cet amour que se trouve notre sœur, au milieu de la ronde des sœurs et des frères, des saints, des élus, de ceux que nous connaissons et que Dieu connaît, et que nous ne connaissons pas encore. Dans cette ronde est l’amitié, le langage qu’on parle, est le langage  du cœur, du cœur de Dieu.

le 24 février 2022

Obsèques de sœur Marie-Dominique JOURDRAN

Frère Bruno CADORE

1 Co, 13, 1-9. 12-13 ; Jn. 12, 20-26