homélie pour l’Epiphanie par le frère Julien WATO, op

Noël et l’Épiphanie, ces deux fêtes solennelles de l’Église, sont les deux versants d’une seule et même fête, au fond, la fête de la naissance du Sauveur et de sa manifestation dans l’humanité. Noël dont seuls des juifs, les bergers de Bethléem, furent témoins, et l’Épiphanie dont furent témoins les mages, venus d’Orient, mages qui représentent les païens. Noël a plus de relief dans notre pays, l’Épiphanie en a plus en Orient dans l’ensemble. Si à Noël, la Nativité du Seigneur, la venue au monde du Sauveur, a pour seuls témoins, les bergers, des marginaux de la société d’alors (Luc 2, 17), l’Épiphanie est la fête de l’apparition, de la manifestation (traduction littérale du terme grec έπιφάνεια) du Sauveur aux yeux du monde, des nations, des païens.

D’une certaine manière, cette fête nous concerne au premier chef, car la plupart des membres de l’Église n’appartiennent pas au peuple de la première Alliance. Mais nous sommes bien le peuple de Dieu, comme dit St-Paul dans la deuxième lecture : « Toutes les nations sont associées au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse, dans le Christ Jésus, par l’annonce de l’Évangile. » Dans cette fête que nous célébrons aujourd’hui, nous sommes du côté des mages et nous venons adorer l’Enfant-Dieu, la lumière dont parle le prophète Isaïe, dans la première lecture : « Les nations marcheront vers ta lumière, et les rois, vers la clarté de ton aurore. » Notons que si le texte d’Isaïe parle bien de rois, ce n’est pas le cas dans l’Évangile. Les mages, dont nous ne savons pas grand-chose en vérité, leur nombre, leur nationalité, leur nom, ne sont pas désignés comme rois dans l’Évangile de St-Matthieu, contrairement à ce que transmet la légende populaire. « Les nations marcheront vers ta lumière. » Cette lumière, à quoi sert-elle d’abord ? À voir ! Nous avons vu se lever son étoile disent les mages ! « Quand ils virent l’étoile, ils éprouvèrent une très grande joie. En entrant dans la maison, ils virent l’enfant avec Marie sa mère ; et tombant à genoux, ils se prosternèrent devant lui. » Les bergers et les mages ont donc vu, de leurs yeux l’Enfant-Dieu et l’ont adoré. Et nous, que nous est-il donné de voir ? Voir, avec les yeux de la foi ? L’Évangile nous donne de voir et de méditer l’histoire merveilleuse de Dieu avec les hommes, l’histoire du Salut, l’histoire d’une relation dont nous sommes à la fois témoins, avec nos oreilles quand nous écoutons la lecture de l’Évangile, et participants quand, tout en écoutant, nous entrons dans le texte, ou plutôt nous laissons vivre en nous ce texte et sa signification profonde, celle d’une déclaration d’amour de Dieu à notre humanité. Oui, nous aussi, nous pouvons voir l’Enfant-Dieu, avec les yeux de la foi ! Le reconnaître comme celui qui nous donne accès au Père, c’est comme lui offrir l’encens des mages pour honorer sa divinité ! De l’Enfant-Dieu dans une humble crèche à l’homme, encore jeune, mis en croix, il nous est donné de voir Dieu à l’œuvre, dans notre humanité humble et vraie, un Dieu étonnant, déconcertant qui suscite en nous l’émerveillement, si notre cœur et notre intelligence sont ouverts. Voir et adorer Dieu, cela suppose donc de venir, de consentir à prendre la route de la foi, à prendre conscience et à accepter qu’une relation vraie avec ce Dieu, nous oblige à nous déplacer, nous déranger, à prendre un autre chemin, à s’engager dans une transformation, une conversion au Dieu Vivant, le Vivant qui est passé par la mort et en a triomphé par la Résurrection. La myrrhe offerte par les mages, était destinée aux soins mortuaires, et cela nous renvoie à un autre temps liturgique, au mystère pascal, à la mort du Christ en croix !

Adorer Dieu, c’est entrer dans un chemin de vie, d’écoute de la Parole de Dieu, c’est dire non à l’esprit jaloux, menteur et assassin d’un Hérode, tentation qui peut nous traverser tous, plus ou moins, à un moment ou l’autre… « Tombant à genoux, ils se prosternèrent devant lui… » L’adoration se manifeste par ce geste humble de prosternation. Finalement, à l’Enfant-Dieu, nous pouvons nous offrir nous-mêmes, lui donner notre confiance, notre foi, notre vie, ce sera comme l’or des mages destiné à reconnaître la royauté de l’Enfant ! Alors, nous aussi, par ce don total, nous éprouverons « une très grande joie »!

Il faut le souligner : dans le récit de Matthieu, la foi pérégrine des mages contraste avec la position qu’occupent les scribes et les chefs des prêtres, la position de ceux qui savent, installés qu’ils sont dans le confort de leur certitude, assis dans les antichambres du pouvoir. Ils mettent immédiatement le doigt sur la bonne citation, eux qui savent et qui ont le pouvoir : ils le savent, c’est à Bethléem qu’à lieu l’évènement tant attendu.

Mais aucun d’eux ne se lève pour se mettre en route et tomber à genoux devant cet enfant-Dieu fragile, ce Dieu précaire qui menace subitement leur autorité. Comme ce Dieu-enfant continue de contrarier nos suffisances nationales, ethniques et religieuses, nos sagesses racornies, nos prétentions culturelles. Lui qui ne se laisse reconnaître que par ceux qui ont la curiosité des enfants et l’humilité des vrais savants. Comme les mages : ils déchiffrent à ciel ouvert le grand livre de la nature. Ainsi fallait-il que ce Dieu qui s’est dérangé pour nous, comme disait Péguy, fût attesté par des hommes qui se sont dérangés. Il continuera de l’être en notre monde par des hommes et des femmes qui se dérangeront pour le rencontrer et l’annoncer, par tous ceux qui sauront tirer de leurs coffrets l’or, l’encens et la myrrhe, je veux dire ceux qui travailleront au partage des richesses économiques de la planète, ceux qui contribueront à l’élévation spirituelle de la vie humaine, ceux qui reconnaîtront dans l’homme le plus obscur l’enfant que le Père éternel a marqué d’une onction royale. Amen !

 

Frère Julien WATO