homélie du 32e dimanche, TO, année c, frère Bruno CADORE

Aujourd’hui les textes sont difficiles. C’est l’occasion de poser nos questions sur la Résurrection. Demander la grâce de devenir croyants, Fils de la Résurrection.

‘Laissez-vous réconforter’ nous dit l’Épitre de saint Paul ; laissez-vous réconforter vous qui êtes fils de la résurrection. Est-ce-à-dire, Frères et sœurs, nous qui sommes croyants en la résurrection, fils de la résurrection, est-ce-à-dire que nous sommes invités à regarder de manière un peu superficielle la vie de maintenant et nous laisser réconforter à l’idée d’un futur de résurrection ?  Est-ce-à-dire, pour le dire de manière triviale, que nous sommes invités à confesser notre résurrection comme nous disons : ‘après la pluie, le beau temps’ ?

Après les épreuves, après les doutes, après les souffrances, après les deuils, après les déchirures, après les parcours ratés, après toutes ces difficultés vécues en Dieu, viendra enfin le temps de la résurrection, en quelque sorte le renversement de notre vie ; une vie enfin mise à l’endroit. Certes, nous espérons ce temps où la vie, la vie de chacun de nous et la vie de nous tous ensemble, sera remise à l’endroit ou plutôt sera enfin remise à sa place en Dieu. Certes, nous croyons en cela et c’est cela notre foi ; c’est cela qui nous fait vivre ; mais il me semble que les textes d’aujourd’hui nous invitent à nous laisser conduire par l’Esprit pour approfondir encore davantage notre foi, et cet approfondissement nous demande de convertir notre regard vers l’avenir et vers le passé ; de convertir en quelque sorte notre espoir et notre mémoire.

Dans l’évangile, les sadducéens posent une question qui semble être une question un peu par l’absurde ; ils ne croient pas en la résurrection mais ils voudraient quand même comprendre ce dont Jésus veut parler. Alors ils choisissent l’exemple de la loi du lévirat qui dit que l’homme doit préparer le futur de l’homme, qu’il lui faut engendrer, donner génération, donner filiation, qu’il lui faut emplir la terre comme le Créateur l’a domptée ; et cause de ça, le peuple de Dieu, le peuple hébreu a inventé cette loi qui dit qu’une femme doit toujours essayer de donner génération.

Mais, alors à quoi ressemblera l’avenir après la mort de tout le monde ? A quoi ressemblera l’avenir puisque nous ne pouvons le considérer que l’image de ce que nous sommes capables d’imaginer nous-mêmes, cette femme qui a eu sept maris, qu’est-ce-qui va se passer ? Comment cela va se passer ?

Ces questions nous les avons toujours, nous qui croyons en la résurrection, nous y croyons mais à quoi cela va ressembler ? Qu’est-ce que cela sera cette vie ? Qu’est-ce-que c’est que cette résurrection de la chair ? De chacun, de tous ? Retrouverons-nous tout le monde ?  Comment Jésus invite ses interlocuteurs et à travers les Sadducéens qu’il ne juge pas, invite tous ses interlocuteurs y compris ses disciples à convertir leur regard vers l’avenir. Oui, la résurrection est un temps profond, c’est un temps que vous ne pouvez pas imaginer, c’est même un temps en lequel je vous demande de croire nous dit Jésus, sans savoir à quoi il ressemble. Je vous demande même d’y croire sans imaginer ce qu’il va être sinon qu’il sera en Dieu ; en ce Dieu des vivants, en ce Dieu d’Abraham, d’Isaac, de Jacob, ce Dieu du peuple de toujours, ce peuple-là sera en Dieu ; chacun de vous le sera, certes mais aucun ne saura si le peuple, tous ensemble, peuple de Dieu racheté par Jésus.

Convertir notre regard en avant c’est d’une certaine manière accepter de convertir notre regard aujourd’hui, comprendre que notre vie aujourd’hui n’est pas une vie qui attend notre résurrection ; c’est une vie qui se reçoit de la résurrection du Christ, de la vie du Christ, de la vie de Dieu. C’est pour cela que Luc nous dit : « vous êtes enfants de la résurrection ».

Convertir notre regard vers l’avant, ne pas avoir besoin de nos images pour croire en la promesse du Dieu de la vie aujourd’hui. Il nous faut aussi convertir notre regard vers le passé, notre mémoire mais peut-être est-ce plus douloureux, plus difficile. Nous avons entendu la lecture du livre des Martyrs. Nous avons entendu une version très expurgée. Si vous lisez ce chapitre 7, je crois, du deuxième livre des Maccabées, martyrs d’Israël, vous verrez que rien n’est épargné, aucune précision des tortures infligées à ces sept frères, de la mort de la mère qui accompagne, ces sept frères prient de les épargner, tout le mal que l’homme est capable de faire à l’homme est décrit en détail. Toute cette prétention d’un roi Antiochus Epiphane qui veut empêcher la liberté de croire en un Dieu des vivants.

 

Toute sa prétention de violence, toute sa prétention de pouvoir, sa prétention de mainmise sur tout le monde et toujours, est développée et curieusement c’est lorsque vont venir les Maccabées c’est-à-dire des captifs, un livre du 2e siècle avant Jésus Christ, lorsque ce deuxième livre des Maccabées racontent cette torture contre la liberté religieuse, c’est à ce moment-là, en faisant mémoire de cette torture que pour la première fois dans le peuple d’Israël, on parle explicitement de la résurrection des corps, de la chair.

Quel Paradoxe ! Quel paradoxe qu’au milieu de l’horreur, l’auteur du livre ose parler de la résurrection. Est-ce qu’on peut dire que cela va nous faire oublier l’horreur ? Je ne le crois pas. Je crois même au contraire que c’est une invitation pour nous d’accepter que nous devons confesser la résurrection, nous sommes invités à confesser la résurrection sans oublier l’horreur dont l’homme est capable et les tortures des sept frères par Antiochus ne sont pas des tortures du temps passé, ce temps d’horreur notre humanité en est pétri ; certes l’horreur des Maccabées mais aussi l’horreur de l’esclavagisme, la terrible horreur du XXe siècle d’Auschwitz mais aussi les génocides et aussi les tortures très sophistiquées que des chrétiens ont osé inventer au temps de l’Inquisition, l’horreur ! Et dans l’horreur, la confession que nous croyons en une résurrection qui nous fait fils ; autrement dit une confession de la résurrection qui ne résout pas les questions que nous nous posons sur le mal mais qui pose ces questions à Dieu : Dieu, toi le Dieu des vivants, qu’en est-il du mal que l’homme peut faire tort ? Qu’en est-il du Salut que tu nous promets ? Et sa réponse est que précisément Il n’est pas venu endosser notre humanité pour la renverser d’une manière naïve en disant : supportez le mal et ça ira mieux après ! Il est venu endosser notre humanité pour la vivre jusqu’au bout y compris dans l’affrontement au mal, y compris dans l’affrontement de ce que l’homme est capable de faire mal à un autre homme ; du creux de ce mystère du mal, Il est venu nous dire qu’Il était le Dieu des vivants, à nous donner une réponse, nous inviter à la foi, à nous décrire les cas de vie de la résurrection et nous promettre le Salut de ? mystérieux d’un Dieu qui vient tisser son histoire intimement avec l’homme jusqu’à affronter en l’homme le mal que l’homme est capable de faire à l’autre homme, à s’y soumettre, à y passer et à relever les morts.

Telle est notre foi non pas seulement pour réfléchir à l’avenir l’idéal de notre vie individuelle, ni oublier dans le passé tout ce qui s’est mal fait mais vivre dans le présent la manière dont le Christ ressuscité en, au milieu de nous et dans ce monde affronte le mal et le renverse et nous fait vivre de sa vie donnée. C’est ce que nous célébrons tous les jours en célébrant le Christ : ceci est mon Corps livré pour vous et ceci est la coupe d’une Alliance qu’avec vous je veux faire vivre aujourd’hui, demain et pour toujours, accepter de devenir fils de ce mystère de la résurrection dans votre mesure, petit à petit mais pas demain, aujourd’hui.

Dimanche 10  novembre 2019

M 7,1-2 ; 9 – 14

2 Th 2, 16 à 3,5

Luc 20, 27-38