Homélie de la nuit de Noël 2019, frère Bruno CADORE

Vous vous souvenez, frères et sœurs, de cette question : es-tu celui qui doit venir ? Cette question que Jean-Baptiste envoie ses disciples poser depuis sa prison, poser à Jésus, prêche : es-tu celui qui doit venir ? Peut-être, les autres qui étaient des bergers et dans la même auberge pour qui il y avait de la place, peut-être que les bergers, peut-être que les dissipeurs de la première crèche, peut être que nous-mêmes, en voyant ce jeune couple venu d’ailleurs pour le recensement ordonné par le gouverneur, peut être que nous tous devant cet enfant si vulnérable dans une crèche, nous nous posons la même question. Est-il celui qui doit venir ce petit enfant de rien du tout ? A son égard, Paul dit, dans la lettre à Tite, « la grâce de Dieu s’est manifestée pour le salut de tous les hommes ». Vous vous rendez compte, frères et sœurs !  Un petit enfant né au hasard des pérégrinations d’un recensement serait la grâce de Dieu manifestée une fois pour toute pour le salut de tous les hommes. Comment reconnaitre l’avènement de cette grâce de la miséricorde de Dieu en ce petit enfant ? Est-il vraiment celui qui doit venir ? Lui qui apparait un parmi d’autres dans la foule qui se ressemble, lui un bébé de passage pour lequel il n’y a même pas une place dans la salle commune. Un bébé qui, bientôt, devra s’enfuir avec ses parents pour échapper à la folie meurtrière et jalouse d’un roi qui manifeste ainsi combien son pouvoir est dérisoire. Comment reconnaitre dans ce bébé celui qui va rassembler la maison de David, casser des jougs, briser des chaines, renverser les soldats, brûler les fouets et les cordes de tous les esclavages. Comment reconnaitre le Prince de la Paix en ce petit nomade qui ouvre les yeux sur le monde, des yeux toujours étonnés et mystérieusement toujours confiants ? Très souvent devant cette scène de la crèche en la nuit de Noël, des visages, et je pense que c’est la même chose pour vous, des visages et des évènements de naissance me viennent à la mémoire.

Vous savez de ces moments où l’émotion, la beauté, l’inquiétude et la confiance, la douleur du travail et la joie profonde de donner lumière à un nouveau petit d’homme semble, une fois pour toute, transformer le monde entier. Permettez-moi en cette nuit d’évoquer avec vous trois visages ; trois petites histoires. C’est d’abord l’histoire d’une très grande amie ; elle s’appelle Jésumaime. Elle habitait en Haïti sur les collines. Elle devait accoucher. Mais c’était difficile parce qu’elle n’avait pas de bois pour chauffer l’eau dont elle aurait besoin pour laver son bébé. Alors, avec sa maman, elle prend la route comme on prend si souvent la route dans ce pays. Et puis, elle descend de la colline pour aller au marché acheter un peu de bois. Sur la route, elle accouche. Elle confie le bébé à sa maman qui remonte au village et elle, courageusement, cherche à continuer à descendre pour acheter le bois pour pouvoir faire chauffer l’eau et laver le bébé. Et elle arrive ;  elle remonte. Je lui demande : cet enfant, comme il s’appelle ? Avec un grand sourire, un immense sourire, elle dit : il s’appelle Jésula ; Jésus est là. Voilà le mystère ; en tout cas une première figure du mystère de la nativité. Dieu se rend présent au cœur de l’histoire banale de tout un chacun. Il a une fâcheuse habitude de se rendre présent pour tous en commençant par les plus oubliés, les plus petits, ceux qui sont les plus vulnérables, ceux pour qui il n’y a pas de place dans le monde comme il n’y avait pas de place dans l’auberge. Il se fait présent avec la même vulnérabilité de ceux qui sont si faibles qu’ils risquent d’être rendus encore plus faibles par les pouvoirs qui croient être puissants. Puis il est accueilli ; il est accueilli dans la joie simple d’une Jésumaine et de tant d’autres mamans, de tant d’autres villages, de tant de lieux perdus où la naissance dit l’avenir ouvert pour tous. Traversant les océans et c’est Thibaud, pas le petit Thibaud qui a porté l’enfant à la crèche, un autre dans le Nord de la France. Ses parents sont très marginaux, détruits par la violence, par la drogue, par la prison. C’est en prison que j’ai connu le papa de Thibaud. Puis miracle ! Ils s’aiment et ils donnent naissance à ce petit Thibaud. Tout à coup ils découvrent qu’ils peuvent être responsables de ce petit d’homme ; que c’est leur chair, leur vie.

Tout à coup ils découvrent qu’ils ne sont pas simplement pauvres et marginaux, anciens prisonniers mais que leur histoire ne peut pas être écrite d’avance, dans les ténèbres qu’ils ont connues, que leur passé si lourd, si triste, n’est pas nécessairement leur avenir. Un petit d’homme vient ouvrir pour eux, avec eux, cette confiance en eux-mêmes et en lui et en tous pour que l’histoire s’écrive avec eux. Oh ! Vous connaissez l’humanité, comme moi, vous connaissez l’histoire comme moi et nous nous connaissons chacun assez bien. Tout n’a pas été rose après cette belle naissance mais une fois pour toute la naissance de ce nouveau petit d’homme, si petit, si fragile, si menacé par le passé de ses parents, la naissance de ce petit d’homme a tout changé autour de lui, a donné à nouveau la force d’une vie qui n’est pas un destin écrit d’avance, d’une vie où on peut accueillir, d’une vie où on peut aimer, d’une vie où on peut prendre soin de quelqu’un d’autre, d’une vie où on peut grandir. C’est pourquoi Dieu vient parmi nous, en s’en remettant à notre soin, en s’en remettant à ceux qui l’accueille pour que, une fois encore, mais concernant Jésus, une fois pour toute, l’accueil de cette vie naissante soit l’accueil de notre vie naissante. Puis, la troisième histoire est l’histoire de Yolande et je vous convie à nouveau en Haïti. Elle vient de naitre et sa maman est morte en couche. Alors, sa grand-mère en prend soin. Elle essaye même de lui donner le sein ; hélas ! En vain. Il y a autour d’eux, autour d’elle, toute une classe d’enfants qui visitaient cette montagne ; et parmi ces enfants, une jeune adolescente disparait. On la cherche, sans la trouver. Après six heures de marche, elle revient et elle nous dit : Papa et maman ont accepté que je l’adopte, la petite Yolande. Ils vont s’en occuper, ils vont m’apprendre à devenir sa maman. Elle la prend avec elle pour redescendre dans sa maison et elle devient la maman de Yolande.

Quand Dieu vient au monde, alors qu’il n’y a pas de place pour lui, il vient au monde pour redonner force et vigueur à celles et ceux, vous et moi, à qui Dieu demande de faire en ce monde place pour tout le monde ; de faire de ce monde une hôtellerie pour tous, un lieu d’humanité de tous.

Il sait que nous pouvons hésiter ; il sait que nous n’avons pas la force mais il sait aussi que, désarmés devant la vie qui vient, nous découvrons en nous une force de vie que jusqu’alors nous ignorions. Qui mieux qu’un enfant peut révéler à tous, autour de lui, à quel point elles sont, ils sont eux-mêmes, elle-même vulnérables et en même-temps tellement capables de prendre soin de la vie qui vient, qui est donnée.

Es-tu celui qui doit venir ? Oui, répond l’enfant. Depuis toujours, quand Dieu porte au cœur de lui ce désir et cette joie de se faire l’un des vôtres et de s’en remettre à vous pour l’accueillir et le donner ; pour qu’en l’accueillant, vous osiez découvrir combien vous désirez vous-mêmes devenir proche de Lui au point que vous voudriez avec Lui partager la vie qu’Il est venu donner.  Devant la crèche aujourd’hui, demandons au Seigneur de révéler en nous ce désir de recevoir sa vie, en vivre et de la donner.

MESSE DE LA NUIT DE NOEL 2019

Frère Bruno CADORE

Is. 9, 1-6   Tte 2, 11-14   Lc 2, 1-14