Homélie du 4e dimanche de carême, année A, frère Sylvain Detoc, OP

« Mettre en lumière »

La liturgie de ce quatrième dimanche de Carême, centrée sur la guérison de « l’aveugle-né », pourrait se ramener à cette expression : « mettre en lumière ».

Mais qu’est-ce que Dieu veut mettre en lumière ? Eh bien ! il veut mettre en lumière ce que l’homme n’arrive pas à voir spontanément ; ce que son ignorance, sa paresse, voire son obstination délibérée à ne pas voir, laisse dans l’ombre.

Les trois lectures de ce jour nous donnent une idée de ce que Dieu met en lumière, un peu comme trois coups de projecteur successifs : Dieu met en lumière ce qu’il y a de beau en l’homme ; Dieu met en lumière ce qu’il y a de mauvais en l’homme – son péché – ; Dieu met en lumière ce qu’il fait en Jésus pour nous sauver.

Dieu met lumière ce qu’il y a de beau et de bon en l’homme et qu’on ne voit plus.

C’est le Premier Livre de Samuel qui nous l’apprend : « Dieu ne regarde pas comme les hommes : les hommes regardent l’apparence, mais le Seigneur regarde le cœur. » Or ce regard posé par le Seigneur sur David révèle la beauté et la bonté de ce jeune homme : David « était beau ». Humainement, néanmoins, David n’a rien pour plaire dans le contexte de la guerre contre les Philistins où il intervient. Il n’a rien d’un solide gaillard, rien d’un costaud, comme il en faudrait pour combattre Goliath. David est « le petit dernier », comme on dit. Quand on lui donnera une armure pour aller au combat, il n’aura même pas la force de la porter !

Bref, David ressemble plus à un musicien gringalet qu’à un vaillant guerrier, quelqu’un qui est plus habitué à manier la cithare que l’épée. Alors faire de lui le roi d’Israël, vous n’y pensez pas !!! Et pourtant, c’est lui que Dieu a choisi pour conduire son peuple vers la victoire, parce que Dieu voit au fond de lui une beauté et une bonté que les hommes ne voient pas.

Dieu, donc, met en lumière ce qu’il y a de beau et de bon en chacun, bien au-delà de son apparence, comme il l’a fait pour David. Mais il met aussi en lumière ce qu’il y a de mauvais en l’homme, son péché.

C’est ce que nous rappelle Paul dans l’Épître aux Éphésiens : « autrefois, vous étiez ténèbres ; maintenant, dans le Seigneur, vous êtes lumière ».

Les premiers chrétiens appelaient le baptême l’« Illumination ». Avant d’être baptisés, ils considéraient qu’ils étaient dans la nuit de leurs péchés, cette nuit qui sert à cacher tout ce que le péché a d’inavouable. Mais cette part d’ombre qu’il y avait en eux, ils ont eu le courage de la présenter à la lumière du Christ en se convertissant et en demandant le baptême pour la rémission de leurs péchés : « Celui qui fait la vérité vient à la lumière » (Jn 3, 21).

Cette lumière que la Parole de Dieu projette sur nos péchés n’est pas une lumière froide, blafarde, comme celle que braqueraient des policiers sur un malfaiteur pris en flagrant délit. C’est une lumière chaude, une lumière qui sauve, une lumière aimante. La part d’ombre qu’il y a en nous, la lumière de Dieu la révèle, mais dans le même mouvement, elle la dissipe.

Si donc Dieu met en lumière nos ténèbres, ce n’est pas pour nous condamner, c’est pour nous sauver. N’ayons pas peur d’exposer à la lumière du Christ cette part d’obscurité qu’il y a en nous et que nous connaissons plus ou moins bien. C’est pour cette raison que nous chantons, dans une hymne du Carême : « le temps du jeûne t’offrira la part obscure de nous-mêmes ». La carême, avec ses combats spirituels, ses peines, ses échecs, nous montre combien suivre le Christ n’est pas évident. Mais c’est justement cela qu’il nous faut regarder en face pour l’offrir au Seigneur.

En fait, si Dieu met en lumière notre misère, il met en lumière davantage encore la miséricorde qu’il déploie pour nous sauver.

Depuis le IIe siècle, au moins, les commentateurs de cet évangile de l’aveugle-né ont été frappés par le geste de Jésus : Jésus fait de la boue et l’applique sur les yeux de ce mendiant. N’aurait-il pas pu le guérir d’une simple parole, ou en lui imposant les mains, comme il l’a fait pour tant d’autres malades ? De toute évidence, ce geste étrange est un « signe » par lequel Jésus nous interpelle pour nous enseigner quelque chose.

Les théologiens n’ont pas eu de difficulté à relier ce passage avec celui de la Genèse où Dieu prend la poussière du sol et la pétrit pour en tirer l’humanité d’Adam. En d’autres termes, la main que Dieu tend pour façonner Adam et celle qu’il tend, en Jésus, pour guérir les yeux de l’aveugle-né, c’est une seule et même main créatrice. En Jésus, cette main divine qui a nous a créés se déploie à nouveau pour nous recréer.

Or la main de Dieu ne nous laisse pas tomber. Elle nous porte constamment, même lorsque nous sommes dans la nuit de nos péchés. Elle ne se soustrait pas. Elle ne nous abandonne pas. Comme le dit Isaïe (59, 1) : « le bras du Seigneur n’est pas trop court ». Il n’y a pas de misère, pas de ténèbres, qui soient hors de portée de la miséricorde de Dieu.

Quel réconfort de savoir cela, en particulier en cette période où nous sommes éprouvés par les conséquences de l’épidémie et du confinement ! Là où nous sommes, même si nous ne pouvons plus nous rendre à l’église et recevoir les sacrements, nous sommes dans la main de Dieu. Cette main nous porte dans l’existence, cette main œuvre pour notre salut. Faisons-lui confiance et laissons-la nous façonner en lui offrant dans la prière le terreau de notre cœur. Enfin, soyons les uns pour les autres les relais de cette main créatrice qui sauve et qui guérit.

1 Sm 16, 1b-6-7.10-13a

Eph 5, 8-14

Jn 9, 1-41