Vigiles pascales, frère Sylvain DETOC, OP

À l’envers, à l’endroit !

Dieu est déroutant. Il fait les choses à l’envers.

C’est dans la cendre que nous avons commencé notre chemin vers Pâques. Et c’est dans le feu que nous l’achevons. La cendre ? C’était le premier jour du Carême : le fameux « mercredi des cendres ». Le feu ? C’est le « feu nouveau », celui que nous avons allumé au début de notre veillée et qui brille à présent devant nous, sur le cierge pascal.

Dieu fait les choses à l’envers. Le processus naturel, en effet, c’est l’inverse : ce qui brûle est réduit en cendre ; la cendre, elle, ne donne plus aucune prise aux flammes. C’est fini.

Mais notre Dieu n’est pas à un paradoxe près. Quand il se révèle à Moïse dans le buisson ardent, il montre qu’il est, comme dit l’Écriture, « un feu dévorant »… qui ne dévore rien du tout ! Sa flamme illumine et réchauffe, sans calciner quoi que ce soit. Ailleurs, la Bible nous dit que ce feu peut même faire resplendir ce qu’il touche : il pénètre jusqu’au métal le plus dense, comme l’or, pour le débarrasser de ses scories.

Eh bien ! ce feu, dans la nuit de Pâques, a surgi de la cendre. L’impossible incendie a éclaté dans l’histoire des hommes. D’une création fragile, Adam (« le terreux »), d’un peuple qui a mordu la poussière de l’esclavage, puis de l’exil et de l’occupation, Israël, d’un corps inerte, enfin, couché dans la tombe, Jésus, Dieu a tiré une création nouvelle. Avec de l’ancien, Dieu fait du nouveau !

Vous le savez sans doute, les cendres utilisées au début du Carême, nous les fabriquons avec les rameaux de la Semaine Sainte de l’année précédente. Ces vieux rameaux, fanés, racornis, carbonisés, deviennent ainsi le signe, d’une année sur l’autre, que Dieu est plus grand que ce qui vieillit. Avec lui, on peut toujours recommencer !

Nous, chaque année, nous vieillissons. L’aboutissement de ce processus, nous le connaissons bien… Tout passe. Nos biens matériels s’usent. Nos habitudes se démodent. Nos certitudes s’émoussent. Nos affections s’exténuent. Nos corps vieillissent. Et pire encore : nos cœurs s’épuisent à force de ressasser les mêmes péchés, qui laissent au fond de nous un arrière-goût de cendre.

Saint Paul – nous l’avons entendu – appelle cela « l’homme ancien », le « vieil homme ». Dieu, lui, est jeune. Éternellement jeune. Jeune et vif, comme cet ange qui a fendu la nuit en venant à la rencontre des saintes femmes, à l’entrée du sépulcre. Jeune et vif, comme le corps resplendissant de Jésus ressuscité, qui nous précède – en Galilée et ailleurs –, où que nous allions porter son Évangile. C’est pour cet état glorieux que Dieu nous a façonnés. Pas pour la cendre. La tombe n’est pas notre vocation. Notre vocation de baptisés, c’est de partager dès maintenant la Vie même de Dieu.

Alors, cette nuit, un peu d’audace ! Jetons-nous en Dieu ! Jetons-nous dans ce feu toujours nouveau ! Jetons-y tout le bois sec de notre existence.

Dans quelques instants, nous rallumerons nos cierges pour renouveler les promesses de notre baptême, et l’eau baptismale coulera sur notre front. Et si quelque chose de neuf pouvait surgir en nous à ce moment-là ? Et si, vraiment, l’Esprit Saint pouvait raviver la flamme de notre baptême et rajeunir notre amitié avec le Christ et avec son Église ?! Par la bouche d’Ézéchiel, Dieu nous l’a promis : « Je répandrai sur vous une eau pure […] je vous donnerai un cœur nouveau ». Prenons-le au mot. Présentons-lui nos vieux cœurs, et laissons-le faire les choses à l’envers : c’est sa manière de nous remettre à l’endroit !