6e dimanche de Pâques, homélie du frère Sylvain DETOC, op

Une Samaritaine, des Samaritains

 

La Samaritaine, vous vous rappelez ? C’était le troisième dimanche de Carême, il y a environ deux mois. À cette femme, Jésus avait promis « l’eau vive ». Eh bien ! aujourd’hui, les Actes des Apôtres (1ère lecture) nous montrent comment cette promesse s’est réalisée.

Suite à la persécution contre les chrétiens de Jérusalem, le diacre Philippe – l’un des « sept » dont nous parlait la liturgie de dimanche dernier – se retrouve « en Samarie », c’est-à-dire au milieu d’un peuple que les Juifs considèrent d’un mauvais œil, parce que la doctrine de ces gens-là est jugée déviante. Et voilà qu’en voyant les signes qu’accomplit Philippe – les mêmes signes que ceux qu’avaient accomplis Jésus, puis Pierre et les autres Apôtres – ces « mal-croyants » accueillent l’Évangile et reçoivent le baptême !

Les apôtres, restés à Jérusalem, l’apprennent. Ils envoient sur place Pierre et Jean. Et ceux-ci achèvent le travail que Philippe avait commencé. Comment ? En priant pour ces gens et en leur imposant les mains afin qu’ils reçoivent l’Esprit Saint. Une démarche qui fait penser à ce que nous célébrons dans la confirmation : l’évêque, successeur des Apôtres, prie et impose les mains pour que l’Esprit Saint soit répandu dans le cœur du baptisé qui demande le sacrement. Pour ordonner un diacre, un prêtre, un évêque, c’est pareil : prière et imposition des mains, pour demander une nouvelle effusion du Saint-Esprit.

Bref, ce que Jésus avait promis à la Samaritaine – « l’eau que moi je donnerai » (au futur) –, Dieu l’a accompli plus tard à la prière des apôtres. Il y a donc un ordre, et il est bien souligné par cette histoire : d’abord Jésus – Philippe prêche Jésus, baptise au nom de Jésus – puis l’Esprit Saint. C’est le même ordre que Jésus évoque dans l’évangile d’aujourd’hui. Jésus s’en va vers le Père ; mais il promet aux Apôtres qu’il priera le Père et que celui-ci leur enverra (au futur) le Saint-Esprit.

Jésus parle de l’Esprit comme d’un autre « défenseur ». Un autre « paraclet », dit le grec. Si on décalque ce mot en latin, ça donne « avocat » : quelqu’un qui est avec nous, à côté de nous, et qui prend la parole en notre faveur. Nous avons tellement l’habitude d’accoler ce mot à l’Esprit Saint – l’Esprit Paraclet – que nous oublions parfois que Jésus parle d’« un autre paraclet ». Mais qui est le premier « paraclet », alors ? Mais c’est Jésus lui-même, lui qui intercède pour nous auprès du Père afin que nous soyons remplis de son Esprit.

D’abord Jésus, le premier « paraclet ». Puis l’Esprit, le second « paraclet ». Comme disent les théologiens, ce sont les deux Personnes divines de la Sainte Trinité qui sont envoyées par le Père pour sauver les hommes : le Fils et le Saint Esprit.

Mais il y a encore une différence. Jésus, l’« Emmanuel », c’est « Dieu avec nous ». Or Jésus dit aux Apôtres : l’Esprit « sera pour toujours avec vous ». Bref, l’Esprit aussi est « Dieu avec nous ». Où est la différence alors entre Jésus et l’Esprit, entre le premier et le second paraclet ? La voici. En Jésus, le Fils de Dieu, le Seigneur s’est fait tout proche de nous, il est venu « parmi » nous. L’Esprit, que les Apôtres ont vu à l’œuvre dans le ministère de Jésus, lui, il sera « en » nous. Pas « parmi » nous, ni « auprès » de nous, comme l’avait été Jésus. Mais « en » nous. En chacun de nous, ici et maintenant. L’Esprit, c’est Dieu en nous, Dieu répandu dans nos cœurs.

Voilà pourquoi Pierre nous adresse cette invitation : « honorez dans vos cœurs la sainteté du Seigneur » (2e lecture). Après la Pâque de Jésus, c’est dans nos cœurs que tout se passe. C’est là que Dieu se rend présent. La question n’est plus de savoir où il faut adorer Dieu. Tel était le grand reproche que les Juifs faisaient aux Samaritains : ces derniers adoraient Dieu ailleurs qu’au Temple de Jérusalem ! Mais Jésus avait expliqué à la Samaritaine : « viendra un temps où tu n’adoreras Dieu ni à Jérusalem, ni ailleurs, mais « en esprit et en vérité ». Pas dans un lieu, donc, pas dans un bâtiment ; mais dans l’intimité de ton cœur. C’est là en effet qu’est répandu « l’Esprit de vérité ». C’est là que dans l’Esprit, tu rencontes Jésus ressuscité et son Père. Au Ciel, il n’y aura plus de temple ! Plus d’église ! Parce que Dieu sera vu directement, dans un cœur à cœur immédiat avec lui.

Évidemment, le Ciel a déjà commencé ! Ce cœur à cœur avec Dieu dans l’Esprit, nous en vivons déjà depuis notre baptême. Mais comment pouvons-nous être sûrs que ce n’est pas une illusion ? Comment pouvons-nous savoir que l’Esprit Saint est bien là, en nous ? Répondre à cette question, ça revient à répondre à la question que devaient se poser les apôtres : comment peut-on être sûr que Jésus est bien le Fils de Dieu ? Certes, il y avait les signes que Jésus accomplissait. Mais tous ces miracles furent peu de choses en regard de la tourmente du Vendredi Saint… De même, il ne manque pas de signes dans la communauté chrétienne, aujourd’hui encore. L’Esprit Saint agit toujours dans l’Église. Mais ces signes, là encore, sont peu de choses quand se lève le vent du doute et de la tentation. Pour l’immense majorité de ses contemporains, Jésus n’était qu’un homme parmi d’autres. Pour la majorité de nos contemporains, l’Église n’est qu’une association religieuse parmi d’autres. Au bout du compte, ce qui permet de voir en Jésus le Fils de Dieu, c’est la foi. Ce qui permet de voir en chaque baptisé un temple du Saint-Esprit, et dans la communauté chrétienne le corps vivant du Christ animé par l’Esprit, c’est la foi. Rien d’autre que la foi. Seigneur, donne-nous ton Esprit. Augmente en nous la foi !