homélie du 5e dimanche de carême, frère Antoine TINGBA, OP

Et ce jour-là, une vie fut épargnée. La miséricorde, à travers parole et geste. Moi non plus, je ne te condamne pas. Du doigt, Jésus écrivait sur la terre. Cette attitude de Jésus a donné lieu à bien de commentaires. De fait, elle peut susciter une réelle curiosité au point d’oublier l’essentiel du texte. Une vie est sauvée.

Jésus enseigne au temple, il parle, il révèle la nouveauté radicale de l’amour de Dieu. Et voici qu’on lui amène une femme surprise en situation d’adultère.  La loi évoquée, la loi de Moïse, prévoit la peine de mort. Quiconque est surpris en flagrant délit d’adultère doit mourir. Mort précédée des sévices, la lapidation jusqu’à ce que mort s’en suive. Que va dire Jésus ? Que va-t-il faire ? En Jésus, parole et gestes coïncident. On imagine, lui qui était entrain de parler de l’amour de Dieu qui peut tout pardonner, confronté au piège des pharisiens et scribes. S’il dit qu’il faut tuer cette femme, il se contredit ; mais s’il ne dit pas cela, il s’inscrit en faux contre la loi de Moise.  Il est hors la loi. Et puis le piège est terrible, soit c’est la femme qui meurt, soit c’est Jésus finalement parce qu’il ne respecte pas la loi de Moise. Et de fait, même si ce n’est pas à l’instant, Jésus un peu plus tard…, eh bien, c’est lui qui va mourir. Ce sera pour une seule raison, il a trop aimé, il a trop pardonné. Mais revenons sur un détail dans ce récit, Jésus s’abaisse sur la terre. L’évangile nous le répète deux fois aujourd’hui : Jésus s’était baissé et, du doigt, il écrivait sur la terre.    Comme on persistait à l’interroger, il se redressa et leur dit : Celui d’entre vous qui est sans péché, qu’il soit le premier à lui jeter une pierre. Il se baissa de nouveau et il écrivait sur la terre.

Cette répétition, cette persistance, que cache-t-elle ? Nous le savons, depuis l’éternité, Jésus s’est abaissé. Souvenez-vous, lorsque nous lisons l’épitre aux Philippiens, il est écrit, il s’est abaissé, c’est pourquoi Dieu l’a exalté.

A l’incarnation Jésus s’est abaissé pour la première fois. Et la deuxième fois, il s’est abaissé prenant la condition de serviteur devant ses apôtres, le jeudi saint au lavement des pieds. A cette occasion, il confiera à ses apôtres, aimez-vous les uns les autres, comme je vous ai aimés.

Imaginons, Jésus voit en face de lui tous ces gens qui ont en face de lui les mains chargées des pierres prêts à lapider la femme dite adultère. On les voit, les mains chargées de pierre d’un côté, prêts à tuer ; et la femme bredouille, de l’autre côté, sentant l’imminence de la mort par lapidation. Et Jésus au milieu.

Si à l’incarnation Jésus s’est abaissé pour la première fois pour guérir les hommes de leurs péchés, ici il s’abaisse à nouveau pour guérir les relations sociales malades. Jésus est celui qui rapproche, celui qui relie. Jésus voit les hommes qui se servent de leurs doigts pour détruire plutôt que d’écrire sur la terre des belles pages de leur vie. Il voit toutes les pierres qui servent à démolir parce qu’elles sont jetées avec violence, au lieu d’être utilisées avec patience pour construire.

Le jugement du Christ n’est pas selon une loi humaine. La loi, rien que la loi, sans l’esprit de la loi, manque de bienveillance, appliquée avec rigueur, on oublie le service que peut rendre une loi.

Si cette femme est en danger c’est parce que ces hommes sont habités par la mort, la conséquence du péché. Le commandement de Dieu ne dit-il pas de ne pas tuer ? Jésus va permettre à cette femme et à ces hommes une rencontre passionnante. Celui d’entre vous qui est sans péché, qu’il soit le premier à lui jeter une pierre.

En commençant par les plus âgés, ils vont déserter leur violence et apprendre à se retirer, à s’effacer. Dieu ne peut aimer que notre capacité à nous effacer comme Lui le tout puissant s’abaisse pour nous permettre d’être, de vivre et d’exister.

Personne, dit Jésus à cette femme, ne t’a condamnée ? Non, dit-elle, avec étonnement. Ce que la loi ne peut pas, ce que la justice des hommes ne peut pas rendre, seul Jésus le peut : guérir les relations sociales, soigner les relations humaines malades. Jésus permet à cette femme non pas seulement d’être sauvée mais d’entrer dans une relation salvatrice : ceux qui auraient pu être ses bourreaux sont ceux qui peuvent être sanctifiés.

Enfin, moi non plus je ne te condamne pas, dit-il, va et ne pèche plus. Cette confiance exprime une relation sociale paisiblement rétablie, à la hauteur d’un lien nuptial, je vous ai fiancés à un seul homme comme une vierge pure à présenter au Christ (2 Co 11,2).

Sommes-nous disposés à entrer dans l’amitié que l’homme qui s’abaisse nous offre, pour ne point nous juger mais nous permettre d’entrer dans une relation nouvelle, chemin d’une grande humanité, chemin de Dieu ?

Il existe un monde qui nous apparaît quelque peu hermétique, inaccessible, mais lorsqu’il nous est donné de vivre cette traversée dans l’amour, d’expérimenter notamment le pardon, la miséricorde, alors s’ouvre cette possibilité de sacrifier l’inessentiel dans lequel se perdent nos vies, pour trouver enfin un véritable sens.

La clé nous est donnée alors pour quitter un monde préfabriqué pour admettre de nous abaisser à la suite du Christ afin de guérir toutes nos relations malades.

Il suffirait de rien, pour que des mains s’unissent non pas pour frapper mais pour travailler dans la concorde.

Il suffirait de rien, pour quitter précisément les autoroutes du prêt à penser qui nous conduit partout sauf à déserter les illusions de la puissance.

Il suffirait un seul instant de penser que cet abaissement est bien, que quelqu’un a aimé, c’est pourquoi il s’est abaissé, celui-là même qui nous fait dans la grâce et la filiation, pour nous permettre de dire : Père.

 

Dimanche 3 avril 2022

5ème du carême

Frère Antoine TINGBA

Is. 43, 16-21 ; Ph. 3, 8-14 ; Jn.8, 1-11