Homélie du jour de Pâques, frère Vincent Tierny, OP

Act. 10, 34a .37-43 ; Col. 3, 1-4 ; Jn. 20, 1-9

 

Venez et voyez ! Lorsque Jésus rencontre ses premiers apôtres, il les appelle à le suivre pour voir. Il n’en dit pas plus. Il les laisse dans la perplexité au sujet de sa personne, de sa mission, de sa demeure.

Seuls quelques hommes et quelques femmes accepteront de répondre à cet appel. Ils ne savaient pas à l’époque que cette réponse les ferait marcher sur une route à la fois grandiose et déroutante, magnifique et tragique.

Ils ne savaient pas qu’Il les conduirait à tout quitter pour Lui, à risquer de tout perdre pour une fin incertaine.

Ils ne savaient pas non plus que sa seule présence suffirait à révéler les noirceurs de leur cœur mais plus sûrement encore les merveilles dont Dieu les avait comblés.

Ils ne savaient pas qu’ils seraient capables, malgré leur attachement, de l’abandonner dans la tourmente puis de le suivre à nouveau amoureusement jusqu’au don total d’eux-mêmes.

Mais ils se sont mis en marche. Ils assistent avec joie aux nombreux signes qu’il accomplit, ils écoutent son enseignement donné avec autorité, ils voient les scribes et pharisiens nourrir un ressentiment farouche à l’encontre de celui qui les pousse dans leurs ultimes retranchements au sujet des Écritures, de la volonté bienveillante de Dieu.

Jour après jour, Ils voient, angoissés, la haine se refermer progressivement sur l’amour infini de ce Jésus qu’ils ont décidé de suivre.

Venez et voyez ! Au soir du crucifiement, Marie-Madeleine voit celui qui lui avait rendu l’espérance expirer dans l’obscurité ;

Jean assiste fidèlement à la victoire apparente du mal sur la source de tout bien ;

et Pierre voit celui qui l’avait relevé de l’abîme des eaux s’enfoncer dans celui de la mort.

Ils sont venus à la suite de Jésus pleins de leurs folles espérances, il se voient désormais seuls.

 

C’est ce moment douloureux de solitude et d’angoisse que Jésus choisit pour révéler à l’aube d’un jour nouveau ce qui devait être vu par les disciples.

Non pas un tombeau fermé sur la mort, mais un tombeau dont la pierre est roulée et ne retiendra plus jamais l’humanité captive.

La mort de Jésus, comme le montre le tombeau ouvert quitté en hâte, était une étape voulue. Une étape essentielle, car la seule qui puisse montrer la puissance de l’amour divin, que ni la mort ni aucune autorité ne peut enchaîner.

Le tombeau de la mort était trop petit, la puissance des enfers était trop faible, incapable de retenir celui qui est la résurrection et la vie. Et cette victoire ne pouvait pas rester cachée au monde.

 

Au matin du troisième jour, attirés par l’Esprit, Marie-Madeleine, Pierre et Jean répondent de nouveau à l’appel : Venez et voyez !

Il vit et il crut. Pour chacun d’eux, tout s’éclaire en ce matin de Pâques.

Il fallait suivre Jésus pour atteindre ce tombeau qui devient le signe de l’amour victorieux.

Il fallait avoir écouté, observé, imité au quotidien le Verbe de Dieu fait homme pour devenir capable de lire les signes du tombeau. Tel le grain de blé, il a choisi de mourir pour donner la vie à la multitude.

A la suite de Marie-Madeleine, Pierre, Jean, nous sommes venus pour voir. Mais nous ne sommes pas les seuls.

Le sépulcre vide a été vu par tous, tant par Marie de Magdala que par les soldats de garde, tant par Pierre que par les chefs du peuple. Tous en ont été frappés.

Les uns ont été disposés par cette expérience à reconnaître le Vainqueur de la mort, les autres ont cherché à la censurer et à la travestir par le mensonge.

Ce tombeau incompréhensiblement vide est un peu le symbole de notre existence inexplicablement inconsistante.

Il n’est pas difficile aujourd’hui, que ce soit pour les chrétiens ou pour les plus éloignés de la foi, de se rendre compte que notre vie est parfois vide ;

que, considéré pour lui-même, l’homme est une étrange créature qui passe ses premières années à se bercer d’illusions et ses dernières années à compter ses désillusions ;

que l’histoire humaine, s’il n’y a pas de perspective supérieure, est une épreuve sans queue ni tête.

Ceci est un donné qui s’impose à tous, à l’exception de ceux qui refusent de penser et s’étourdissent dans une dissipation aliénante.

Mais à partir de cette expérience commune l’humanité se divise. Qui ne dépasse pas le tombeau vide ne peut qu’aboutir au scepticisme et au désespoir ;

qui, en revanche, dépassant le sentiment de l’inutilité de nos journées, se jette avec foi entre les bras de celui qui peut nous garantir une existence sans fin et un bonheur sans piège, parvient vraiment à faire de l’événement pascal la source inépuisable de sa joie.

Pour Marie Madeleine, pour Pierre, pour Jean, pour les douze, pour tous les disciples, a commencé un temps nouveau, marqué par ce rapport personnel avec le Seigneur qui est vivant. Qu’il en soit ainsi pour nous aussi.

Alors Pâques devient vraiment Pâques, c’est-à-dire le fondement de toute espérance et le motif le plus convainquant pour donner une nouvelle dimension et une nouvelle orientation à notre pèlerinage sur terre.

C’est pour cela que nous sommes venus ce matin. Pour voir et pour croire. Pour rencontrer le Seigneur ressuscité dans son Eucharistie, pour nous conformer à lui, pour répondre comme lui par notre vie au dessein bienveillant du Père.

Act. 10, 34a .37-43 ; Col. 3, 1-4 ; Jn. 20, 1-9