homélie du 15e dimanche du TO, année C, frère Bertrand GANDUBERT, OP

 

Et qui est mon prochain ?

Voilà une question que pose un docteur de la Loi à Jésus, qui peut sembler un peu naïve à première vue et qui se révèle être tout à fait essentielle. Le prochain, en sens étymologique du terme, eh bien, c’est le proche, celui qui me ressemble ou à qui je voudrais ressembler, les deux propositions n’étant pas tout à fait équivalentes.

Jésus élargit considérablement le propos. Le prochain, dans la parabole du Bon Samaritain, c’est celui qui se présente à moi et qui a besoin de moi. Nous ne sommes plus du tout dans une relation en forme de miroir. J’aurais en face de moi quelqu’un qui me ressemble ou à qui je voudrais ressembler. Qui voudrait ressembler à une personne qui a été rouée de coups, dépouillé de ses biens et qui est gisant « à moitié mort », comme dit Jésus sur le côté de la route ? Personne ! Alors, on se défile devant lui. Le prêtre et le lévite tournent discrètement la tête en passant devant ce pauvre homme. Celui qui se charge de lui, eh bien, c’est un autre « pauvre homme ». Lui, il est debout sur ses jambes, il n’a été molesté par personne. Mais c’est un pauvre homme dans le sens que les Samaritains étaient rejetés par les « gens bien » de l’époque. Les notables juifs de ce temps se détournaient des samaritains. Ils étaient vus, ceux-ci étaient vus comme des citoyens de seconde zone, des gens suspects dont la foi était entachée de paganisme. Et c’est justement un des leurs qui ne se dérobe pas, face à la situation de grande détresse qu’il rencontre. Il prend sur sa monture l’homme blessé, le conduit en lieu sûr, tout au moins plus sûr que le fait d’être allongé dehors, à moitié inconscient. Il paie les frais d’hébergement à l’aubergiste avec ses propres deniers. Enfin, il fait ce qu’il faut pour que l’homme qui a été gravement molesté puisse s’en sortir.

Jésus est celui qui décloisonne les situations, les personnes non pas au nom de grands principes, mais au nom de la simple humanité. Il ne s’agit pas de se dérober face à celui qui est dans la détresse.

Et qui est mon prochain ? C’est la question du docteur de la Loi que j’ai mis en exergue à mon propos. Pour Jésus, le prochain, c’est d’abord celui qui a besoin de moi parce que ne pouvant plus s’en sortir tout seul. La règle d’or de la vie en société de nos jours, c’est l’individualisme : Je me suffis à moi-même. Je suis autonome, je me débrouille tout seul pour assumer le mieux possible la vie quotidienne sans demander l’aide de quiconque. Evidemment, beaucoup ne peuvent pas entrer dans de tels critères. C’était vrai du temps de Jésus, ce l’est évidemment aujourd’hui !

Le Christ est l’image du Dieu invisible nous dit saint Paul dans son Epitre aux Colossiens. Le Dieu invisible que Jésus rend visible, voilà une affirmation bien audacieuse de la part de l’Apôtre si elle est au cœur de notre foi chrétienne et que nous sommes habitués à entendre et à lire de tels propos. Un homme qui révèle le vrai Visage de Dieu et qui le fait à travers les gestes du quotidien, et du quotidien le plus simple, celui d’une humanité la plus vulnérable que Jésus assume. Cet homme dépouillé de tout et roué de coups, eh bien, c’est d’abord et avant tout Jésus, Jésus qui est aussi conduit à la Croix. Cette parabole de Jésus ne parle pas que d’altruisme. A travers l’altruisme du Bon Samaritain, il y a le salut qui est ainsi manifesté. Pour être sauvé du péché et de la mort éternelle, il faut s’ouvrir à l’autre. On ne se sauve pas tout seul, même par une piété exigeante. S’ouvrir à Dieu, c’est s’ouvrir au pauvre, à celui qui est dans la détresse. Il ne s’agit plus de chercher celui qui peut me gratifier de sa présence valorisante, flattant notre ego. Non ! Il s’agit de nous mettre au service de l’humanité souffrante à la suite du Christ, cette humanité souffrante révélant le vrai Visage de Jésus, à la fois vrai Dieu  et vrai homme.

Demandons un cœur limpide avec une motivation sans faille.

Dimanche 14 juillet 2019

 

Dt. 30, 10-14 ; Col. 1, 15-20 ; Lc. 10, 25-37