Homélie Christ Roi de l’univers, frère Bruno CADORE, op

Les chefs ricanent, les soldats se moquent, le malfaiteur l’injurie ! Pourtant c’est Lui que nous célébrons aujourd’hui comme Christ, Roi de l’univers. Pas seulement roi comme David était roi ;  encore que nous avons assisté, en écoutant le livre de Samuel, à une vraie révolution puisque la reconnaissance de David comme roi est faite à ce moment là par toutes les tribus, jusqu’à présent divisées, enfin réunies comme une sorte de fédération comme pour dire qu’elles sont désormais le signe précisément de ce rassemblement que Jésus vient annoncer lorsqu’Il prêche la venue du Royaume parmi les hommes. Il y a là déjà une indication : Jésus n’est pas roi comme David mais le Royaume dont le Christ est le Roi, il n’est pas un lieu mais une réalité humaine transfigurée, réconciliée en une communion au-delà des divisions, au-delà des prétentions des uns et des autres, au-delà des défiances, au-delà des guerres. C’est une fraternité humaine réconciliée. Le Christ Roi de l’univers n’est pas un roi comme ceux que nous pouvons connaitre ou dont nous avons pu connaitre l’histoire qui ont pouvoir, puissance, cours ; même si cette image était peut-être en arrière-fond lorsque Pie XI en 1925 a instauré la fête du Christ Roi de l’univers. Il y avait probablement un peu de prétention ecclésiale ; il fallait que l’Eglise reprenne vigueur, reprenne force, reprenne place, reprenne reconnaissance. Mais au-delà de ces illusions d’une Eglise vaine en quelque sorte, en 1970, je crois, Paul VI a changé cette fête et pour bien manifester le sens de ce changement, il a placé cette fête au terme de l’année liturgique comme pour nous rappeler que le Christ est Roi de toutes choses, depuis toujours et pour toujours mais il n’est pas roi d’un royaume que nous connaissons ; il est Roi d’un temps qu’il est venu ouvrir pour nous ; on dit qu’Il est Roi du temps eschatologique, du temps qui vient ; un  roi du temps de Dieu ; d’un Roi d’accomplissement de toutes choses « dans le mystère de Dieu » comme dit saint Paul.

Il y a là une deuxième indication : le Royaume dont le Christ est Roi est la figure d’une espérance. Il est l’espérance qu’il s’agit de partager avec tous. Lorsque Paul VI place cette fête au terme de l’année liturgique, il veut nous rappeler qu’au pied de la Croix, devant notre Roi, nous sommes un peuple réconcilié en Lui, et comme Lui envoyé à l’univers entier. Mais quelle est cette espérance eschatologique ? En ce dimanche, pour invoquer ce Roi de l’univers, paradoxalement, l’Eglise par ces textes liturgiques nous invite une fois encore à lever les yeux vers Celui qu’ils ont transpercé ; à regarder le Christ en croix ; regarder cet homme torturé, à bout de souffle, humilié au-delà de tout ce que nous pouvons imaginer ; cet homme abandonné à la souffrance, c’est Lui le Roi de l’univers. C’est Lui ce pauvre bougre devant lequel les chefs ricanent, que les soldats moquent, que le malfrat injurie. Il n’a pas figure humaine et pourtant l’évangile met sur les lèvres de tous ceux qui l’injurient, tous ces horribles personnages, des mots qui précisément expriment pourquoi Jésus Fils de Dieu, Fils de Marie, est aujourd’hui mis au rang des plus bas de ce monde, en déréliction totale et comment du plus bas de cette déréliction, Il manifeste son Royaume. Les chefs Juifs – ils ne veulent pas reconnaitre ce que Pilate a fait écrire sur la croix –  mettent en cause sa prétention religieuse : ‘alors tu es l’Envoyé, tu es l’Elu, tu es le Messie ! Alors fais quelque chose ! Qu’enfin la religion trouve sa place ! Qu’enfin, toi qui nous a vilipendé dans le pouvoir religieux, tu nous montres comment il faut que la religion soit forte ! Sauve-toi’ ! Mais Jésus ne répond rien. En silence, dans l’humiliation, dans l’acceptation de la mort est sa réponse ; et les soldats entre eux reprennent non pas l’idée du religieux mais l’idée du politique à instituer Roi des Juifs : ‘tu dois montrer ce que c’est qu’un roi, quelqu’un de fort, quelqu’un qui a une armé’ ; un peu comme au temps des tentations : ‘lance-toi ! fais semblant de tomber ! Les soldats viendront et te rattraperont’. Dieu ne vient pas pour prendre le pouvoir ; Dieu ne vient pas pour manifester une force temporaire. Christ est Roi de l’univers, il est tête de l’Eglise mais l’Eglise n’est pas un royaume au-dessus de tous les royaumes. L’Eglise n’est pas une puissance, une force qui s’imposerait aux autres. Là encore, le Christ se tait, il ne répond pas à cet appel à la puissance.

D’un côté, l’image d’un Messie qui ne correspond pas à ce que les religieux pensaient ; de l’autre côté, l’image d’un politique qui ne correspond pas non plus à ce que les soldats et les puissants pensaient. Ces deux motifs : un Messie qui n’est pas comme on pensait, un Roi qui n’est pas comme on attendait, ces deux motifs se croisent aujourd’hui comme pour nous rappeler que c’est pour ces deux motifs que le Christ est aujourd’hui en Croix pour ne pas avoir voulu répondre à ces attentes ou plutôt pour avoir mis à bas ces attentes. Il est en Croix pour avoir accepté précisément de manifester que Dieu ne serait pas une puissance religieuse en ce monde et que Dieu ne serait pas non plus une puissance politique en ce monde. Il vient le Messie de Dieu, l’Elu mais pas pour renforcer les pouvoirs religieux de ceux qui pensent tout savoir de Dieu, que ceux qui pensent que parce qu’ils savent tout de Dieu, ils peuvent tout imposer au peuple. Il est le Messie de l’Alliance nouvelle, une Alliance qui rassemble, d’une Alliance qui réconcilie, d’une Alliance qui rassemble tout le monde, riches et pauvres, Juifs et Païens, de la Judée et des extrémités de la terre, du passé et du futur ; Il est Celui qui fait alliance avec tous ou plus encore Celui qui révèle à tous qu’ils peuvent tous être acteurs de l’Alliance. Telle est l’Eglise, son Corps dont il est la Tête, le Chef, le Roi. Il est Roi, en effet, mais comme Il  dit à Pilate, Il n’est pas Roi au sens où les hommes l’entendent, il est Roi parce qu’Il est Serviteur ; Roi encore plus vulnérable que le tout jeune David qui s’avançait à mains nues devant Goliath. Il est Roi et sa dignité royale vient précisément en cette vulnérabilité extrême, totale où sa seule force est de mendier d’être accueilli, mendier aux hommes qu’Il manifeste qu’ils ont en eux la capacité d’accueillir leur Dieu. Il veut pour ça servir la capacité de chaque homme à accueillir Dieu, la capacité de chaque homme à servir Dieu. Telle est sa royauté, tel est le service, non pas le service qui s’humilie mais le service qui fait grandir toutes celles et tous ceux dont Il est le Serviteur. Tel est notre Roi. C’est pourquoi Il est l’image du Dieu invisible qui fait naitre dans ce monde son Corps vivant pour servir le monde.

Un jour, dans une liturgie célébrée pour des enfants, un des parents qui accompagnait, demande aux enfants : ‘ Mais comment – c’était le jour du Christ Roi – pouvons-nous savoir que le Christ est Roi ?’.

L’un d’entre eux répond : ‘Mais il a une couronne’. En effet, cette couronne de l’humiliation extrême. Puis un autre dit : ‘Mais non, Il a surtout un trône parce que c’est le trône qui est important pour le roi »’.

Alors l’animateur dit : ‘Quel est ce trône ?’ et l’enfant répond : ‘Mais tu n’as pas vu : son trône c’est la croix’. La croix est le trône du Christ Roi de l’univers ; et c’est ce que le deuxième larron commence à comprendre lorsqu’il reprend son compagnon et qu’il dit : ‘Lui, il n’a rien fait ! Il est là, pour tout faire, tout donner ! Alors Jésus, quand tu viendras dans ton royaume, prends-moi avec toi’. Il a commencé à comprendre et parce qu’il a commencé à comprendre, alors Jésus répond, Lui qui n’avait pas répondu aux injures, Il répond au deuxième larron et il répond comme Luc aime faire parler Jésus, Il répond en disant : ‘Tu sais ce n’est pas : quand je viendrai dans mon royaume ; aujourd’hui tu seras avec moi au paradis’. Aujourd’hui, comme Luc : dit : ‘Aujourd’hui un Sauveur nous est né. Comme Luc dit : ‘aujourd’hui s’accomplit l’Ecriture’. Comme Luc fait dire au peuple : ‘aujourd’hui nous avons vu des miracles et le Salut est venu. Comme Jésus dit : ‘aujourd’hui le Salut est venu dans cette maison’. Aujourd’hui : c’est la réponse de notre Roi. Aujourd’hui, à partir du plus bas, de là où mon refus d’être un faux messie, mon refus d’être un faux roi m’a conduit ; de là où je suis porté à souffrir du plus bas, de la plus basse déréliction, aujourd’hui s’ouvre le Royaume. Christ, Roi de l’univers, c’est nous rappeler, frères et sœurs, nous ne sommes pas une religion qui adore la Croix comme un instrument de torture ; nous ne sommes pas non plus une religion qui vénère la Croix en nous projetant chacun sur cette Croix. Nous sommes une religion qui vénère la croix sur laquelle il y a déjà quelqu’un : le Roi.

CHRIST ROI

Frère Bruno CADORE

2 Sm 5, 1-3

Col. 1, 12-20

Luc 23, 35-43