Messe des Rameaux, frère Sylvain DETOC, OP

Tout est dit

 

C’est une coutume, dans certains de nos couvents dominicains, de ne pas donner d’homélie après la lecture de la Passion. Voilà qui est bien étonnant pour des « Frères Prêcheurs » ! En réalité, c’est une manière de souligner que dans le mystère de la Passion de Jésus, tout est dit. Il n’y a rien à ajouter.

 

Tout est dit, d’abord, du Mal qui ronge le cœur de l’homme.

Tout est dit à travers Pilate, à travers les grands-prêtres, les Anciens du peuple, les faux témoins, les enthousiastes de Barabbas ; oui, à travers eux, tout est dit de ces compromissions qui enrayent, aujourd’hui encore, nos institutions.

Tout est dit à travers les gardes et les soldats qui giflent Jésus, le flagellent, le couronnent d’épines, le clouent à la croix et crachent sur lui ; à travers eux, tout est dit de la sauvagerie dont nous sommes capables.

Tout est dit à travers ces passants qui injurient le Christ – alors qu’ils l’acclamaient quelques jours auparavant, rameaux à la main – ; à travers eux, tout est dit de notre inconstance.

Tout est dit à travers Pierre, Jacques et Jean endormis au jardin des oliviers ; à travers eux, tout est dit de nos défaillances dans le combat de la foi.

Tout est dit à travers Pierre qui renie, à travers les apôtres qui s’enfuient ; à travers eux, tout est dit de nos lâchetés – les petites lâchetés du quotidien, comme les grandes trahisons qui fracturent parfois nos vies.

À travers Judas qui trahit, tout est dit de nos déceptions, voire de notre lassitude à suivre le Christ – et je ne parle même pas de notre âpreté au gain…

À travers le malfaiteur qui méprise Jésus jusqu’au seuil de la mort, tout est dit de notre capacité à rejeter le salut.

Bref, tout est dit des ravages que l’Esprit du Mal peut faire dans le cœur humain, à l’époque de Jésus comme aujourd’hui. Car au fond, tous ces acteurs de la Passion, toutes ces personnes qui ont contribué à la mort de Jésus, directement ou indirectement, c’est vous, c’est moi, c’est chacun de nous.

Mais tout est dit, aussi, à travers ce centurion ébranlé par la mort de Jésus ; à travers ces femmes de Galilée, restées courageusement près de la croix et du tombeau ; à travers la discrétion de Joseph d’Arimathie ; oui, à travers eux, tout est dit, déjà, de la petite Église, fragile, mais bien présente, comme un grain de blé semé au pied de la croix et fécondé par le sang de Jésus.

Tout est dit, enfin, et bien plus encore, à travers Jésus lui-même, ses paroles, ses gestes, ses attitudes, ses émotions. En son Verbe qui expire, c’est Dieu qui s’exprime. Une fois pour toutes. Et que nous dit-il ? Il nous dit l’essentiel. Il nous dit qu’il nous aime jusqu’au bout.