homélie du 23 dimanche du TO, frère Jean GIANG, op

          Ce même passage de l’évangile comprend pourtant trois contenus rassemblés avec l’intention de chercher à saisir qui est Jésus, ce qu’est l’identité de ce dernier. Le premier contenu est la profession de Pierre suivant les questions de Jésus posées à ses disciples : « Au dire des gens, qui suis-je ? » et la deuxième question, « et vous, que dites-vous, pour vous qui suis-je ? ». La rédaction du texte a mis sans tarder l’explication de Jésus sur le destin du personnage « le Fils de l’homme ». La tradition de cette source nous montre que Pierre, en identifiant Jésus avec le Fils de l’homme, empêche Jésus de suivre son destin. Le troisième contenu suivant le reproche de Jésus à Pierre, exprime la condition pour marcher à sa suite.

Les lecteurs que nous sommes poseraient certes la question sur le fond d’une telle rédaction du texte : quel est l’intérêt de l’auteur ? Si la rédaction est le témoignage après Pâques, et ainsi apporte une lumière de la foi au parcours incompréhensible de Jésus avant Pâque, l’identité de Jésus pourrait être une confession de la communauté des croyants. Mais ce qui nous intéresserait plus, c’est de nous demander si Jésus nous laisse un signe pour montrer comment il se comprend lui-même, comment il envisage son parcours.

Le nœud de la lecture, me semble-t-il, se trouve dans l’intention même de Jésus en posant à ses disciples deux questions qui concernent les dires sur lui.

Pour la première question, Jésus montrera qu’il n’est ni Jean le Baptiste ni Élie. Sa manière de vivre aux yeux des Pharisiens n’est pas celle d’un prophète, car pour ceux-ci, un prophète ne peut pas se laisser toucher par un pécheur. Or, Jésus est souvent à la même table avec les pécheurs. Il s’est laissé toucher par une pécheresse. L’enseignement de Jésus, sa prédication ne peut pourtant pas empêcher des gens de le considérer comme prophète. Mais pour quelle sorte de prophète que Jésus se prend-il lui-même ? Jésus veut entendre l’opinion de ses disciples.

Si la réponse de Pierre en tant que représentant des disciples est souvent considérée comme le dévoilement d’un secret, la rectification de Jésus par rapport à cette réponse est souvent mal comprise et pose ainsi des difficultés non seulement à ceux qui le suivaient autrefois, mais encore à nous aujourd’hui.

En effet, le titre de « messie » que Pierre attribue à Jésus est ambigu. C’est un titre pour beaucoup de Juifs qui provoque l’espoir de l’arrivée du Messie promis. Mais cet espoir est ancré plutôt dans l’attente d’un messie politique. Or, pour Jésus la perspective de sa mission est plutôt la conversion du cœur pour l’arrivée du règne de Dieu. Jésus a fait un choix pour cette mission. Le récit des tentations dès au début de sa mission n’est qu’une manière de manifester ce choix de sa vie. Jésus a conscience des graves conséquences de son chemin. L’interprétation de Jésus sur la manière dont Dieu réagira n’est pas un argument de type nationaliste et politique. Jésus comprend sans doute qu’un messie politique s’enferme dans une idéologique qui trahit Dieu et asservit l’homme. Trahir Dieu parce que Dieu est identifié avec la victoire politique, avec la concentration du pouvoir au cadre religieux. Le cadre ne sert pas Dieu vivant dans le peuple, mais l’idée de Dieu que la loi impose. Asservir l’homme parce que ce n’est pas l’homme qui sera libéré, c’est plutôt restaurer une domination dans laquelle les marginaux, les discriminés, les pauvres, les petits ne voient pas un changement pour leur destin : les dominants retrouvent leur place dominante, les dominés restent toujours dominés.
Or, le choix de Jésus est sa croix. Autrement dit, un destin pareil à celui d’une condamnation sur une croix n’empêche pas Jésus de poursuivre son choix. Le titre de messie ne montre pas le choix de Jésus.

Chers frères et sœurs, nous restons si longtemps dans une position inverse à celle de Jésus. Jésus ne nous demande pas de nous limiter dans une religion cultuelle, mais de nous rendre dignes d’une charité engageante. N’est-ce pas cette réalité qui est dénoncée dans la lettre de Saint-Jacques en montrant ce qu’est la vraie foi d’un chrétien : « Supposons qu’un frère ou une sœur n’ait pas de quoi s’habiller ni de quoi manger tous les jours ; si l’un de vous leur dit : “Allez en paix ! Mettez-vous au chaud, et mangez à votre faim !” sans leur donner le nécessaire pour vivre, à quoi cela sert-il ? Ainsi donc, la foi, si elle n’est pas mise en œuvre, est bel et bien morte. »
Le titre de Christ que nous attribuons à Jésus dans la confession sera aussi bel et bien mort si nous refusons de lutter pour la liberté des autres, pour donner la voix aux marginaux, pour une vie meilleure aux pauvres… si cette lutte de Jésus n’est pas notre choix, nous risquons de tomber dans une fausse religion.

Dimanche 12 septembre 2021

24e du temps per annum

Frère Jean Giang

Is 50, 5-9a ; Jc 2, 14-18 ; Mc 8, 27-35