homélie du frère Eric de Clermont-Tonnerre, OP pour la fête de ste Rose de Lima

 

J’ai vécu mon enfance dans un pays du Maghreb, la Tunisie et, de fait, cela se passe exactement comme dans la parabole des ouvriers de la 11ème heure : l’embauche des ouvriers agricoles.

A Tunis sur une des places en périphérie de la ville, des hommes, des femmes et des adolescents, assis attendant toute la journée qu’on vienne les embaucher pour la moisson ou la vendange.

Il nous est arrivé une fois en voiture de devoir nous arrêter. Aussitôt, une nuée de personnes s’est précipitée sur la voiture, espérant, espérant que nous étions là pour embaucher quelques ouvriers potentiels. Personne ne nous a embauchés disent les ouvriers contactés à la 11ème heure.

Mais l’histoire commence plus tôt à la première heure (vers 6h du matin). UN viticulteur embauche des ouvriers pour la journée. Il s’entend avec eux sur le salaire : un denier, un salaire normal, rien d’excessif.

Puis très vite, cela dérape.

Trois heures plus tard, le viticulteur va chercher d’autres ouvriers. Avait-il mal évalué le travail à faire ? S’était-il trompé sur le nombre d’ouvriers à embaucher ? Peut-être pas. Sa seule préoccupation semble être de ne pas laisser des ouvriers sur la place à ne rien faire.

A-t-il vraiment besoin d’eux ? N’en embauche-t-il pas trop ? Les embauche-t-il  par générosité ?

Toujours est-il que pour eux et les suivants, il n’y a plus de contrat, plus de cadre à l’embauche.

Je vous donnerai ce qui est juste. Belle promesse !

Au fil de la journée, le viticulteur dévoile de moins en moins  ses intentions. Le flou commence à s’installer et pour les ouvriers de la 11ème heure non seulement il n’y a plus de contrat mais le viticulteur ne leur parle pas du salaire.

C’est du n’importe quoi. Les syndicats ont raison de se mobiliser.

Le viticulteur se comporte comme un vrai despote. D’ailleurs, au début de la parabole, il est appelé maître du domaine, littéralement selon le grec : oikosdespotes, le despote de la maison.

Il est légitime de ressentir de l’indignation face à cette injustice flagrante. Si oui, c’est que nous nous identifions aux ouvriers de la 1ère heure et nous pensons que nous sommes sous contrat avec Dieu.

D’ailleurs c’était la question de l’Apôtre Pierre, le disciple de la première heure, dans l’évangile d’hier.

Voilà, nous avons tout laissé et nous t’avons suivi, alors il y a sûrement une récompense pour nous.

Oui, répondit Jésus à Pierre : votre part sera royale puisque vous siégerez sur douze trônes autour du Fils de l’Homme pour juger les douze tribus d’Israël. Et vous aurez en héritage la vie éternelle.

Et Jésus d’ajouter : cependant, ne vous y tromper pas : les premiers seront les derniers et les derniers premiers.

Voilà ce qui est en jeu dans le Royaume des cieux. Non pas tant tel ou tel salaire, telle ou telle récompense. Mais la vie éternelle. Ils sont promis aux derniers comme aux premiers et ces dons ne se partagent pas car ils ne mesurent ni à la qualité, à la quantité ou à la durée du travail fourni.

Ces dons ne peuvent être réservés à un groupe particulier, ni offert à ce groupe avant les autres, voire à l’exclusion des autres.

Ces dons sont pure grâce.

Le glissement dans l’attitude du viticulteur qui embauche au début, selon un contrat clair et précis complet puis qui entre ensuite dans un flou artistique évoque bien le passage  mystérieux de la loi à la grâce. Nous opposons souvent la loi et la grâce, plaçant en caricature les pharisiens du côté de la loi et Jésus du côté de la grâce. Et nous nous plaçons soit d’un côté soit de l’autre selon l’intérêt du moment.

Peut-être ne faut-il  pas opposer et sans cesse nous enraciner dans la vie avec Dieu par sa loi et nous ouvrir à sa liberté par sa grâce et à la responsabilité de sa grâce.

Attachés à la loi du Seigneur et à sa gracieuse liberté.

Sainte Rose de Lima

Frère Eric de CLERMONT-TONNERRE

Jg. 9, 6-13 ; Mt. 20, 1-16